fille des ourses (ithara)

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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Les filles s’étaient entrainées toutes leurs enfances pour ce rituel. Elle les voyait s’entrainer, jour après jour, ces filles qui deviendront femmes en ce jour où tout changerait. Ne devenant femme que lorsque le foulard leur serait arraché, simulant la possession de la virginité aussi brutale mais nécessaire comme les premières menstruations dans leur matrice, les filles d’Artemis riaient gaiement. Ortrera s’était tenue sagement à côté de la Vieille Ourse lorsque cette dernière devant l'assemblée avait donné ses recommendations. Une à une, elle avait béni les filles pour leur nouvelle vie de femme. Et puis, la torche avait été brandie et les filles étaient parties en courant avec un peu d'avance. Les hommes-garçons avaient suivis. Certaines avaient été attrapées rapidement, riant à gorge déployée devant le jeu. D'autres avaient couru plus vaillamment. Mais c'est lorsque ses yeux s'étaient posés sur l'une d'entre elle qui échappait aux garçons comme une biche échappant aux chiens, elle fut subjuguée. Jusqu'à ce qu'elle se fasse attraper, et si elle riait, Otrera elle fit un promesse en regardant la lune, son Artemis dans le ciel.
Elle, on ne l'attraperait pas.

(...)

Les cauchemars ne la laissaient pas en paix. Elle avait l'impression de suffoquer, de sentir l'odeur de la fumée.
Alors, parce qu'elle n'arrivait pas à dormir, elle était partie s'entrainer. Elle avait décidé qu'elle serait la meilleure archère et coureuse que la Grèce eut connu. Elle avait prié Artémis de l'aider dans sa quête et parce que les prières ne suffisaient pas non plus, elle s'était entrainée la nuit. Ayant repéré les entrées et les sorties du gardien du cirque, elle s’était faufilée, son arc à la main. Les cibles placées, elle s’entrainait comme à son habitude. Parfois en se déplaçant, parfois en se mettant plus loin. Elle s’était découvert une patience à toute épreuve avec cet art, canalisant par là sans doute aussi son impétuosité de fille de neuf ans.
Alors qu’elle s’entrainait, elle ne vit pas la fumée qui s’élevait au moins, par là le ciel comme une offrande aux dieux et aux déesses. Ce n’est que quand les cloches et quelques cris lointains atteignirent son oreille, qu’elle s’arrêta.
« Hé ! Toi ! »
Sursautant, Otrera fit tomber son arc alors que le gardien arrivait. Mais la concentration d’Otrera était alors obnubilée par le sons des cloches. Alors que le gardien s’approchait pour l’attraper, Ortrera le sentit comme une poussée invisible. Elle devait partir d’ici et aller vers l’incendie. D’une poussée, elle se mit à courir évitant le gardien et traçant sa route à toute vitesse, le distançant avant de le perdre.
Elle courut à en perdre haleine et plus elle se rapprochait, plus elle savait. Plus elle reconnaissait le quartier, plus elle sentait son cœur se fendre.
Quand elle le vit les colonnes du temples en feu, la fumée noire s’élevant dans les airs et qu’elle arriva, bousculant la foule pour voir, un cri s’échappa de ses lèvres.
Ses sœurs-ourse. La vieille ourse ? Où étaient-elles ?
« Est-ce que quelqu’un est sorti du temple ? Où sont les sœurs-ourses et la vieille ourse ? » demanda-t-elle hystérique.
Autour d’elle, on s’affairait à tenter d’éteindre l’incendie et on pleurait les filles, les jeunes filles de la ville, toute une génération, qui étaient à l’intérieur.
« Calme… » commença une femme qu’Ortera identifia comme une des marchandes sur le forum.
« Mais par Artémis, allez les AIDER !! » hurla-t-elle en larmes et hystérique.
Une main tenta de se poser sur son épaule pour l’obliger à se calmer. Ortrera se dégagea et se mit à courir avant qu’on ne l’attrape. Lorsqu’elle pénétra dans le temple en courant, elle toussa et sentit ses yeux lui piquer. Se baissant, elle avança progressivement pour arriver jusqu’à la salle principale. Une des poutres manqua de l’écraser et Otrera dans la fournaise qu’était devenu son chez elle trébucha sur quelque chose.
Un cri s’échappa de ses lèvres lorsqu’elle vit le corps sans vie d’une de ses sœurs.
« Non, non, non…. ! »
Elle ne remarqua pas immédiatement la quantité de sang qui brûlait, indiquant autour d’elle que ses sœurs n’étaient pas mortes à cause de l’incendie. Horrifiée et consciente qu’elle allait mourir elle aussi si elle restait là, voulant mourir également pour rejoindre ses sœurs et être une prêtresse éternelle d’Artemis dans le jardin d’Asphodèle, le regard d’Ortrera se posa alors sur une robe qu’elle reconnaissait. En sanglots, respirant à mal, elle se saisit du corps et le traina de toutes ses forces jusqu’à l’extérieur.
Lorsque les riverains qui tentaient d’éteindre le feu, la virent sortirent des flammes comme si elle sortait des Enfers mêmes, beaucoup se mirent à prier les dieux. Trainant le corps de la Vieille Ourse, égorgée, Ortrera s’effondra en même temps que le corps. En larmes. Orpheline. Dévastée.

(...)

Elle pleure des larmes qu’elle voudrait être des larmes de sang. Sur son bras, là où la peau et boursoufflée de l’encre qu’on y a incrusté, elle a mal. Mal comme les étoiles qui se créent dans le ciel lorsque le Chaos décide de créer la vie de l’univers cosmique avec Nyx et Erèbe à ses côtés. Mal parce que les derniers souvenirs de la Vieille Ourse, de ses sœurs disparaissent définitivement pour ne laisser qu’un vide.
Un an qu’elle est ici chez ses nouveaux frères, chez ses nouvelles sœurs. Ortrera meurt. Ithara, elle, nait.
Elle n’avait jamais compris ce que la Vieille Ourse avait tenté de lui apprendre. Sans jamais lui expliquer qu’il s’agissait de vision, qu’elle avait le don d’Apollon le devin, Ortrera n’avait pas compris que lorsque ses visions se manifestaient, c’était pour la sauver.
Ithara, elle, âgée de 10 ans, prenait la pleine réalisation de ce pouvoir alors que sur son bras, après avoir rencontré l’Oracle qui ellui avait toujours su lui avait fait graver sur les bras cette constellation à l’encre de chine.
Ses doigts effleurent la peau à vif en tentant de ne pas trop sangloter et elle sent avec stupéfaction l’encre bouger se déplacer. Quelque chose se passe en elle. Le souvenir de ce tatouage fait pour bloquer ses souvenirs s’active et se désactive.
Alors, dans une autre tentative, elle y enferme Ortrera, la vieille ourse, les sœurs ourses, sa vie au temple. Et lorsqu’elle repasse son doigt sur sa peau meurtrie, Ortrera est définitivement morte.
Ithara, elle, est un embryon en attente de sa naissance.

(...)

Ce gros balourd de quelques années son aîné, déjà assassin confirmé, avait eu la langue bien pendue avec le vin qu’il avait trop bu. Atreus, c’était son nom. Alors qu’elle profitait d’un peu de paix dans les thermes les plus à l’écart, tandis que tout le monde profitait des dyonisies entre ivresses, jeux et surtout sexe, Ithara, elle, avait cherché du calme. Elle respectait le principe même des dyonisies, mais elle n’aimait pas l’alcool, ni la cigarette qui la rendaient malade. Elle jouait de temps en temps, mais lorsque les jeux se révélaient charnels, elle refusait. Il y avait toujours cette pensée qu’il faudrait lui retirer ce foulard le moment venu, voilà tout.
Elle avait beau avoir presque tout oublié de sa vie d’avant, elle cherchait parfois encore la présence d’Artémis dans les signes. Oh bien sûr, elle aimait Autolycos comme son père. Mais elle se considérait fille des deux. Filles de la déesse sauvage et vierge, fille du dieu voleur et inattrapable.  Cela lui semblait être un bon mélange et que pour faire un enfant, il fallait toujours un homme et une femme.
Atreus était le grec typique à la musculature travailler, l’alliance du corps et esprit personnifié. Cul et chemise avec Skipion par ailleurs, sauf cette fois-là dans les bains où Ithara l’avait regardé en le jugeant beaucoup tout en sachant qu’elle n’était pas encore une confirmée.
Bientôt.
C’était pour cette raison même qu’en ce moment, elle se baladait dans les bois des oubliés pour repérer les lieux. Elle avait eu la confirmation d’Atreus alors qu’il se moquait d’elle, la future assassine qui en voulait ni boire, ni fumer, ni baiser. Elle lui avait dit qu’elle ne voyait pas en quoi fumer, boire et baiser l’aiderait à tuer qui que ce soit et que l’alcool le rendrait lent. Ce qui n’avait pas manqué quand ils s’étaient brièvement battus parce qu’il l’agaçait et parce qu’elle l’amusait, et qu’elle lui avait foutu la tête sous l’eau. Sans doute, du haut de ses dix sept ans alors que lui en avait déjà au moins vingt-trois, massif comme il était contrairement à elle, n’aurait-elle pas eu cette chance s’il n’était pas déjà pas mal ivre et surtout que Skipion ne les avait pas séparés en riant.
Bref, toujours était-il qu’après lui avoir montré que boire ne lui rendait pas service, elle avait eu l’information qu’elle voulait.
Un arc dans le dos, des flèches, elle divaguait entre sa forme ourse et sa forme humaine. Rapidement, elle repéra un cours d’eau, s’imprègne des odeurs et dans cette forêt, fit un sacrifice pour Artémis qui restait la maitresse des forêts. Elle en profita pour cacher de la nourriture près de l’eau et vint également cacher son arc et ses flèches.
Lorsqu’elle en ressortit le soir, Ithara pria une dernière fois Artémis. Elle avait mis toutes les chances de son côté. Il n’y avait plus qu’à passer l’épreuve finale.

(...)

Tw : sang, décès brutal, massacre, euthanasie
La flèche vole dans les airs et vient transpercer l’épaule du loup-garou. Le loup se retourne et fonce droit sur elle, jeune fille à la beauté diaphane, apparition folle de la nuit et de la forêt, cheveux en broussaille pleines d’aiguille de pin, robe déchirée et salle. Elle lève de nouveau son arc, tire la ficelle et tire. La seconde flèche se loge dans la gorge de l’animal qui continue ses foulées. Ses tripes lui hurlent de se transformer en ourse. De son oreille habituée à écouter les sons de la forêt, Ithara sent qu’une autre bête approche attirée par le sang d’un de ses frères que le premier loup garou n’a pas réussi encore à tuer. La troisième flèche qu’elle décoche lui arrive entre les deux yeux et le lycanthrope agonisant s’effondre à ses pieds.
Elle n’a pas le temps de savourer cette victoire qui ne lui donne pourtant aucune satisfaction et se transforme, glissant dans sa peau d’ourse pour venir se télescoper au loup garou qu’elle a entendu venir. Crocs, griffures, hurlement de loup et d’ourse se mélangent dans une folle danse. Finalement, c’est elle qui a le dessus et égorge d’une traite le lycanthrope.
Puis, le calme revient.
Aux pieds du lycanthrope qu’elle a tué, Ithara se retransforme, main au flanc, blessée qu’une égratignures d’un coup de griffe que sa peau d’ourse n’a pas pu arrêter. Mais c’est léger à ce qu’elle en devine et elle n’attend pas. Il faut partir d’ici et se mettre à l’abris, et elle, elle sait où.
Mettant son arc et ses flèches dans son dos, elle se dirige vers sa sœur, Pallas, qui tentait de s’échapper des griffes des deux lycanthropes qu’Ithara a assassinée. Elle voit la jeune femme, une brune à la peau ambrée s’acharner sur un corps. Ithara constate d’un air sombre le visage de Phonoï, son frère, dont visiblement le nom qu’il portait avait été synonyme de son destin du Massacre et du Meurtre. D’un coup d’œil, Ithara sait. Il ne s’en sortira pas.
« Pallas, c’est fini. » dit Ithara. Elle n’avait pas les bases de l’occlumancie mais en cet instant, elle savait qu’elle était totalement détachée d’elle-même. Pallas, elle, perdait son occlumancie et pleurait, essayant de soigner Phonoï.
« Non, ce n’est pas terminé ! »
Ithara s’accroupit et souffle : « Tu le fais souffrir. »
Les pleurs de Pallas lui font mal, mais Ithara se concentre sur Phonoï. Elle a la résolution à présent qu’elle ne laissera aucune de ses victimes souffrir pour que Thanatos se délecte de leur malheur, que les Kérès, la Mort Violente dont elle serait l’outil et qu’Algos, la Douleur ne joue pas avec ses victimes. Alors, dans un dernier acte de pitié envers ce frère dont elle voyait le regard la supplier de l’aider, Ithara sort une de ses flèches et la plante dans le cœur du garçon qui meurt sur le coup.
« Qu’Hermès lui-même t’escorte jusqu’à Charon et que tu ailles aux Champs Elysées là où les héros vivent éternellement. » souffla Ithara.
Sans un autre regard envers le mort, elle se releva pour récupérer toutes ses flèches qu’elle ne pouvait pas semer derrière elle. Elle ne pouvait pas se trouver à court de flèches, préférant ne pas utiliser sa magie qu’en cas d’extrême nécessité.
« Allez Pallas, je sais où on peut se mettre à l’abri. » dit Ithara alors que son amie et sœur s’était relevée, le regard vide.
La nuit continua ainsi, entre massacres, meurtres et autant de frères et sœurs qu’elle peut sauver et aider. Alors que le jour se lève enfin et qu’ils savent que c’est terminé, réfugiers dans les arbres pour terminer la nuit, ils finissent par sortir de la forêt là où les têtes, Charon et l’Oracle les attendent.
Sur son dos, alors qu’on lui inscrit le tatouage qui scelle sa destiné, le prénom de Phonoï est gravé, inoubliable, ainsi que tous les autres frères et sœurs qu’elle a perdu.
Mais maintenant, c’est fait, Ithara est née.

(...)

Elle était de retour à Ithaque, chez elle. Un an sur le sol russe en compagnie de Russia lui-même qui avait tenu sa promesse auprès d’elle. Ithara pourtant, était contente d’être de retour à Ithaque. Les nouvelles dyionisies étant là, elle ne participait pourtant toujours pas aux rixtes, se contentant de les regarder autres toujours avec un certain dédain. La vérité, c’était qu’elle se préparait à l’épreuve du foulard, son épreuve à elle et celle de celleux qui le voudraient.
Elle savait qu’elle devait y passer.
Elle savait aussi qu’elle ferait tout pour qu’on ne l’attrape pas.
Alors quand cet imbécile dont elle avait oublié le nom avait commencé à se moquer d’elle, l’accusant de ne pas être une vraie fille d’Autolycos, comme si Autolycos trouvait la réalisation de ses enfants par le sexe alors qu’il était un dieu voleur, elle avait pris sa décision.
Se levant au milieu des thermes, elle avait levé son verre et prit la parole :
« Demain, au levé du soleil, sur la plage devant le temple, le premier ou la première qui arrachera le foulard de ma ceinture sans magie aura le droit à ma virginité. »
Le fou rire de Russia, présent dans les thermes avait été mémorable et il avait levé son verre à sa protégée en riant encore.
Ithara, elle, était sortie des thermes pour s’isoler et méditer. Puis, comme elle l’avait fait repérer les lieux.
Le lendemain, à l’aube, elle se trouvait sur place, s’étant échauffée, elle avait chaussé ses sandales de course. A sa ceinture, elle avait noué le foulard couleur bordeau. Promesse du seul cadeau qu’elle n’avait pas encore offert. Elle n’avait pas réellement regardé qui était présent. Sincèrement, elle s’en fichait. Elle savait juste qu’ils et elles étaient suffisamment nombreux pour que cela représente un défi.
C’était Pallas, sa sœur de toujours, qui avait organisé les autres règles. Ithara aurait une minute d’avance, puis les autres pourraient partir. Pas de magie, pas même le droit de se transformer en animal. Ithara se rendrait dès que le foulard ne serait plus à sa ceinture. L’épreuve serait terminée lorsqu’Ithara reviendra à la ligne de départ auprès de Pallas et alors, tout le monde aurait perdu la récompense. Ithara serait ensuite laissée tranquille.
Ithara s’apprêta à se positionner et vider sa tête pour se concentrer sur sa course quand elle vit apparaitre le visage d’Atreus. Sans doute est-ce son sourire goguenard qui lui donna l’impulsion, mais elle lui adressa un fuck de son doigt ce qui fit rire l’assassin jovial et social.
Une fois cette incartade, Ithara se mit en place et inspira et expira. Vida sa tête. Et parti en courant.

Deux minutes. C’était le temps qu’il lui fallait pour parcourir la plage et atteindre la forêt. Là, elle savait qu’elle perdrait la plupart de ses poursuivants parce qu’elle la connaissait par cœur. Cela lui donnerait le répit nécessaire pour ne pas sprinter éternellement, ce que son corps ne lui permettrait de toute façon pas. Elle pourrait se cacher et ensuite ressortir de l’autre côté, sur l’autre versant de plage.
Alors, elle sprinta.
Les galets sous ses pieds volent et elle sent derrière elle les pas de course. L’un d’entre eux la rattrape mais elle accélère et rapidement le talonne. Lorsqu’elle rentre dans la forêt, elle sentit une allégresse la prendre. Elle se mit à courir avec agilité, sautant pour finalement réussir à perdre, comme elle l’avait escompté ses poursuivant.e.s.
S’arrêtant, elle se repéra aux arbres avant de se remettre à trottiner pour aller vers le versant de plage qui pourrait la ramener à son point de départ.
Alors qu’elle mettait un pied sur la plage, elle l’entendit à la dernière minute. Subitement, son monde se télescopa à une masse géante qui s’écrasait sur elle. Au sol, Ithara fut surprise de sentir le poids d’Atreus l’écraser. Refusant de se laisser avoir comme ça, Ithara utilisa les défenses de corps à corps et voyant une ouverture, elle parvint à s’échapper malgré l’évidence maitrise d’Atreus dans ce domaine.
Alors qu’elle se relevait pour partir en courant, faisant quelques pas, essoufflée, elle entendit la voix pleine d’amusement d’Atreus :
« Ithara ! Regarde ta ceinture. »
Stupéfaite, Ithara mit sa main à sa ceinture, mais elle sut avant que ses doigts ne rencontrent le vide de là où son foulard se trouvait. Elle se retourna et vit Atreus, essoufflé, un sourire aux lèvres lui brandir le foulard qu’il avait attrapé.
« C’était malin le coup de la forêt. Tu prépares ça depuis longtemps, pas vrai ? » s’esclaffa-t-il avant de se relever.
Ithara sentit une pointe d’agacement la prendre. De tous, il fallait que ce soit lui. Atreus était beaucoup trop bavard et il l’agaçait la plupart du temps. Il jouissait pourtant d’une certaine popularité parmi les leurs, sans doute parce qu’il était de nature particulièrement sociable là où elle était renfermée et solitaire. A chaque fois qu’ils se voyaient, elle avait envie de continuer à le noyer dans les thermes. Et pourtant, elle le respectait. Et elle supputait que lui aussi la respectait.
Cela ne les empêchait pas d’avoir quelques joutes verbales.
« Oui. Tu m’as suivie cette nuit, c’est ça ? » demanda-t-elle en s’approchant de lui.
« Disons qu’après le coup de ton épreuve, j’ai cru bon d’aller vérifier comment tu t’y prenais. Il se trouve qu’après j’ai voulu tenter…»
« Par Aphrodite, est-ce que tu veux bien te la fermer et prendre ton prix ou je dois remettre en jeu le foulard parce qu’en fait tout ce que tu veux c’est parler ? » s’agaça-t-elle.
Il éclata de rire, rire qui mourut contre ses lèvres.

(...)

L’ourse court, ses pattes laissant des traces sur le sol dur. Ici, c’est le désert de la Sibérie, les plaines inhospitalières qui n’abritent que des animaux et peu d’hommes. Elle, elle continue sa route, vibrant sous la liberté qu’elle a. Voilà un jour qu’elle court, se nourrit comme une ourse et semble se diriger vers un point précis. L’endroit qu’elle a repéré quelques mois auparavant est bien le même et s’arrêtant près d’un rocher avec deux sapins qui l’entourait, elle reprit forme humaine.
Emmitouflée dans ses peaux, Ithara sort sa baguette pour déplacer le rocher et se penche pour ouvrir la grosse boite qu’elle y a mise. A l’intérieur, il y a ses trophées, ce qu’elle a volé de ses victimes. C’est ici, ce qu’elle donne à Autolycos en sacrifice, son autel. Fouillant dans sa poche, elle sort quelques babioles de quelques victimes et s’agenouille.
« Autolycos, je te donne ces objets de mes vols et de mes meurtres. Ils sont en ton honneur mon amour pour toi, ta fille. »
Elle vient y déposer les objets sans autre forme de procès. Pas de myrrhe qu’elle brûle, pas d’encens non plus. Il n’y a que l’aridité du lieu et le froid. Cela lui correspond.
Alors qu’elle s’apprête à se relever, Ithara se sent mal. Elle a envie de vomir ce qu’elle a mangé jusqu’ici pour survivre et au fond d’elle, elle le sent.
Quelque chose ne va pas là, dans son corps.
Lorsqu’elle rentre à Ithaque, elle a la confirmation : elle est enceinte. Quelques jours plus tard, elle rentre dans le pavillon des déesses.

(...)

Tw : abandon d’enfant, amnésie
Pallas avait elle aussi passé sa grossesse avec elle. Dans le pavillon des déesses, Ithara avait vécu des jours tranquilles. Aucune présence masculine, juste des femmes et une sororité évidente. Ithara avait eu hâte somme toute de revenir à la vie active d’assassine. Et lorsque les premières contractions s’étaient faites sentir, elle les avait accueillies en priant Artémis qu’elle savait présente pour être la déesse des accouchements et des jeunes mères.
Les heures avaient été interminables. Ithara l’avait maudit, lui, Atreus qui n’était de toute façon ni là, ni au courant. Elle s’était jurée que plus jamais elle ne s’y ferait prendre. Qu’elle l’émasculerait quand elle le reverrait. Qu’elle le détestait, lui et son rire jovial, lui et son être égocentrique et son égo plus gros que lui-même.
Et finalement quand l’enfant avait poussé son premier cri après des heures à s’épuiser à pousser, Ithara avait senti un soulagement intense la saisir. D’après les sœurs qui l’entouraient, l’enfant était une fille et elle était en parfaite santé aux cris qu’elle poussait.
Ithara avait demandé à la prendre dans ses bras une seule fois, juste le temps de savoir ce que cela faisait de rencontrer cet être qui l’avait accompagné pendant neuf mois. En posant son regard sur le bébé, elle avait souri.
« Soit une fille d’Autolycos. La meilleure d’entre toustes. » avait-elle soufflé au bébé avant de le laisser aux sœurs.
Parce qu’elle savait maintenant ce qui allait se passer. Alors que l’enfant avait disparu de sa vie, l’une des sœurs lui dit que le moment était venu. Ithara, dans le tourbillon d’hormones, se rappela une dernière fois clairement le visage de son bébé avant qu’il ne disparaisse de sa mémoire emporté par l’oubliette rituel.

(...)

tw : meurtre

Elle ne se rappelait plus de son bébé, mais elle savait qu’elle avait donné un enfant à Autolycos. Que cet enfant soit mort ou en vie, cela importait peu. Elle avait fait son devoir comme il se devait qu’elle le fasse. Elle ne comptait plus tomber enceinte. Elle ne comptait pas non plus renouveler l’expérience avec Atreus.
Mais Héra s’en était mêlée.
Elle l’avait croisé à cette soirée à l’opéra en Bulgarie. Alors qu’elle passait par l’entrée des artistes dans sa robe vert émeraude de bal, une petite mallette en main qui laissait supposer qu’elle était une flutiste pour la soirée, elle avait remarqué sa haute stature dans un costume qui lui allait bien.
Lorsque leurs regards s’étaient croisés, elle s’était demandée ce qu’il faisait en Bulgarie. Le sort de la Bulgarie était souvent un terrain entre Russia et Europa. Parfois, les assassins sous leur contrôle se retrouvaient. Ce soir, ils semblaient que ce soit le cas également. Ithara n’avait rien dit, ne s’était pas approchée de lui et avait continué sa route. Qui qu’il doit assassiner ce soir, elle aussi avait du travail.
Le contrat avait été passé quelques jours auparavant et Ithara avait empoché l’argent. Voilà maintenant quelques années qu’elle était au service de Russia… et qu’elle avait certains de ses frères et sœurs qui tentaient de l’assassiner. Africa l’avait prévenue. Russia était sans doute dans le coup, mais refusant d’y croire, Ithara avait continué de donner le meilleur d’elle-même, tout en ayant le retour de ces visions d’incendie qu’elle n’arrive pas à replacer. Perturbée, de plus en plus méfiante, Ithara comptait pourtant bien mener sa mission.
Alors qu’elle entra dans les coulisses, elle attendit patiemment que le spectacle ne commence. Elle savait exactement où elle allait se cacher pour atteindre sa victime, un notable qui assistait à la représentation. Lorsqu’elle sut que c’était le moment, elle se faufila jusqu’à l’endroit du décor où elle savait qu’elle serait tranquille.
Tandis que la chanteuse d’opéra se donnait en spectacle en concert avec l’autre chanteur, Ithara ouvrit sa mallette et en sortit son arc et ses flèches. Plaçant la mallette à un endroit en particulier, elle vient poser son pied gauche dessus et observa un instant l’endroit où elle repéra rapidement le siège. Fronçant légèrement les sourcils, elle remarqua qu’Atreus était à côté de lui.
A tous les coups, c’est son client. pensa-t-elle, non sans hausser les épaules.
Tant pis pour lui.
Se concentrant et faisant le vide dans sa tête, elle tira sur sa corde et attendit le bon moment. La flèche qui parcourut la salle se planta entre les deux yeux de l’homme. Elle n’attendit pas de voir la réaction et rangea tout rapidement. Déjà pourtant, elle entendit de l’agitation. Refermant sa mallette, elle la réduisit et la glissa dans son soutien gorge avant de sortir rapidement des coulisses. D’un pas rapide, elle se dirigea vers les consignes.
« Bonsoir, M. Asimov a demandé à ce que je récupère quelque chose dans sa veste. » demanda-t-elle en bulgare à la femme de la consigne.
Son regard se posa alors sur l’heure. Elle avait encore trente secondes devant elle probablement avant que l’agitation de la salle ne se propage et que tout le monde ne sorte. Lorsqu’elle posa ses doigts sur le manteau, elle entendit au loin une des portes des loges s’ouvrir et des hurlements de paniques. Ithara referma alors sa main sur le premier objet qu’elle trouva dans les poches de la veste, un briquet avant de rapidement marcher vers la sortie. Déjà, les gens sortaient en courant de toute part et elle fit mine de suivre la foule. Ce ne fut qu’arriver en haut des derniers escaliers qu’elle le vit alors.
Atreus se tenait au milieu du hall et avait un regard furieux planté sur elle.
« Il ne va quand même pas… » murmura-t-elle.
Atreus fonça droit sur elle.
Ithara n’attendit pas qu’il arrive jusqu’à elle et fit demi-tour avant de parcourir la foule en se faufilant. La stature imposant d’Atreus ne lui permettait pas d’aller vite. Elle non plus qui bouscula de nombreuses personnes sur son passage. Arrivée enfin dans un couloir vide, Ithara se remémora rapidement les plans de l’opéra. Impossible de transplaner dans cette zone. Il fallait qu’elle remonte deux rues plus loin… et avec un assassin à ses trousses qui voulait sans doute lui faire subir le même sort que son client, elle allait devoir ruser.
S’arrêtant brièvement pour retirer ses chaussures à talon, Ithara se mit à courir vers les escaliers qui menaient aux étages supérieurs. Alors qu’elle s’apprêtait à arriver à la porte, elle vit deux gardes de sécurité vouloir l’arrêter, se défendant de la seule chose qu’elle avait sous la main, elle vient attraper le bras d’un de ses assaillants avant de lui faire une prise pour le faire tomber et lui tordre le bras, tandis que de son autre main, elle utilisa sa paire de talon pour assommer le deuxième à la tempe qui s’effondra au sol.
« Restez par terre, parce que l’autre qui arrive se fiche de savoir qui vit ou qui meurt ! »
Elle donna un coup sur la tête à l’autre homme pour l’empêcher de se relever et se remit à courir, ayant vu du coin de l’œil Atreus tourner dans le couloir et commencer à la rattraper.
Ouvrant la porte, elle grimpa les escaliers pieds nue et toujours talons à la main.
« Ithara ! » hurlait Atreus, en colère.
Passant la tête dans la cage d’escalier pour voir où l’homme en était, elle lui hurla :
« Atreus ! Quel mauvais perdant tu fais ! »
Elle le vit passer sa tête, le regard fou de rage à un étage en dessous et lui balançant une de ses chaussures à talons qu’il évita.
« Tu vas me le payer, par Autolycos ! »
Elle continua à grimper en courant les dernières marches et ouvrit la porte qui menait aux toits avant d’entendre des pas d’animaux derrière elle. Poussant un juron, Ithara comprit qu’Atreus s’était changé en puma et la coursait. D’un mouvement précis, alors qu’il commençait à la rattraper, elle lui balança de toutes ses forces sa dernière chaussure à talon qui le fit s’arrêter brusquement. Ce fut suffisant pour qu’elle referme la porte et du bout de la baguette la bloque. N’attendant pas qu’Atreus la défonce, Ithara pointa sa baguette sur sa robe qu’elle découpa pour qu’elle ne la gène pas plus lors de sa course. Puis, elle se remit à courir sur le toit et d’une impulsion sauta sur le bâtiment d’en face qui ne se trouvait pas si loin du bâtiment de l’opéra. Alors qu’elle retombait sur ses pieds sur l’autre toit, elle entendit la porte sortir de ses gonds après avoir été défoncée. En se retournant, Atreus sortait et s’arrêta un instant pour la regarder.
Elle devinait qu’il était toujours en colère qu’elle lui est prit son contrat et l’argent qui allait sans doute avec, mais elle devina autre chose également. Ils ne s’étaient pas revus depuis un certain temps et une part d’elle constata qu’il allait bien avant de finalement se rappeler : il voulait sûrement la tuer.
« Accepte ta défaite. Qu’est-ce que tu vas faire ? J’ai eu mon contrat, t’as perdu. » le nargua-t-elle.
Elle le vit pousser un cri de rage et commencer à se mettre à courir sur elle, sans doute pour sauter.
Dès lors, il la prit en chasse. De toits en toits, les deux assassins se pourchassaient, entre forme animale et forme humaine. Ithara le distançait toujours de part son avance mais elle sentait qu’elle se fatiguait. Son objectif : remonter jusqu’à l’endroit où les transplanages seraient autorisés.
Alors qu’elle arrivait sur le dernier toit, et comprenant qu’il n’arriverait pas à la rattraper et ce qu’elle avait en tête, Atreus lui hurla : « Tara, stop ! » Elle ne l’écouta pas. Sans doute était-ce parce que depuis quelques années les assassins se succédaient pour tenter de la tuer et que ses visions éparses lui sauvaient toujours la vie d’une façon ou d’une autre, qu’elle se disait qu’elle ne devait pas l’écouter. Si ça se trouvait, c’était même Russia qui l’avait embauché pour la tuer.
Alors, elle courut encore, le plus vite possible cette fois-ci. Atreus dut le voir également derrière elle, mais le bâtiment en face était loin, très loin, trop loin sans doute pour un saut normal. Ithara savait pourtant que c’était sa seule chance et qu’une fois sur ce bâtiment, elle serait en dehors de la zone anti transplanage. Alors elle accéléra et prit son impulsion.
« NON ! STOP ! » entendit-elle dans le lointain.
Se transformant en ourse un instant pour gagner le plus de mètres possibles, Ithara vit le mur du batiment en face lui arrive en pleine face et elle poussa un grognement alors que ses mains se rattrapaient in extremis sur le rebord. Son corps se cogne contre le mur et sans doute qu’elle se cogna la tête, mais son instinct lui cria de ne pas lâcher les mains, sans quoi elle tomberait dans le vide quelques mètres plus bas.
Essoufflée, elle poussa un cri de douleur alors qu’elle se forçait à remonter à l’aide de ses bras sur le toit. Quand elle parvint à tomber sur le sol du toit, elle s’effondra un instant et se mit à respirer, ses muscles tremblants de douleur. Puis, sachant qu’il y avait toujours une possibilité qu’Atreus saute lui aussi, elle se releva tant bien que mal et observa de l’autre côté de la rue.
Atreus s’était arrêté sur le rebord et la fixait.
Ils échangèrent un regard et Ithara lui adressa un baiser du bout des doigts avant de transplaner.

Revenir à l’hotel ne fut pas dur, Ithara fut rapidement dans sa chambre et prit soin de ses blessures, quoi que minime. Puis, elle se faufila dans la baignoire qu’elle avait remplie en attendant. Rentrant dans l’eau, elle vient fermer les yeux et essaya de détendre son corps qui avait eu une belle prouesse ce soir.
Un courant d’air la fit frissonner.
Doucement, les yeux rouverts, elle se laissa glisser dans l’eau chaude. Dans l’eau, elle le vit alors et avant qu’il n’agisse pour la maintenir sous l’eau, elle remonta à toute vitesse, l’aveuglant avec l’eau et récupérant une de ses lames pour la placer sur sa carotide. Toussant, Atreus referma son bras sur le corps nu et trempé d’Ithara comme s’il la maintenant dans une tendre étreinte.
« Tu bouges, t’es mort. »
Siffla la grecque les yeux plantés dans les siens, son visage proche du sien également et essayant de ne pas tousser à cause de l’eau qu’elle avait encore dans ses narines.
Doucement, elle vit du coin de l’œil que l’assassin levait les mains en signe de non agression, comme s’il se rendait. Puis, il souffla un sourire en coin aux lèvres :
« J’aurai dû me souvenir de ne pas te déranger pendant ton bain. Je crois que notre première rencontre ne m’a pas servi de leçon… j’aurais dû m’annoncer avant de venir à nouveau t’importuner dans ton bain, jeune Artémis. »
Elle, elle le fixe et appuie la lame contre sa gorge, ne riant pas.
« C’est vrai que tu as tendance à tuer les nôtres dans tes bains. C’est comme ça que tu as fait aussi pour celui, tu sais, quand tu étais adolescente ? »
Ithara grimaça et dit, sans grande émotion :
« Il a glissé sur le savon que j’avais laissé. Je n’ai rien fait. »
Atreus éclate de rire malgré la lame qui en sembla pas le perturber.
« Alors, c’était juste de la chance ? Tout le monde pense que c’est tes visions…. »
« Si tu es venu me tuer, je te le dis gentiment avant de te régler ton compte : dégage. Si tu es venu me faire payer le contrat que t’as raté, je te dis que c’est les règles du jeu et que… » s’impatienta Ithara, pas d’humeur à subir encore sa parlotte.
Mais ce fut lui qui l’interrompit de nouveau :
« Non, Tara. Tu as raison. J’étais juste frustré que tu sois plus rapide. »
Doucement, il vient poser sa main sur son poignet pour éloigner le lame de sa gorge avant de remonter sa main sur son bras nu.
Elle s’était jurée de ne pas retomber. Cette nuit-là, sous les hospices d’Héra, elle retombe.

(...)

Tw : avortement clandestin, automutilation, pensées suicidaires
Lorsqu’elle avait vu le retard de ses règles, elle avait tout de suite senti. Ses os s’étaient glacés. Tout son être s’était décomposé et elle eut la certitude que c’était fini. Elle ne voulait pas redonner d’enfant à l’Ordre, pas cette fois-ci.
Quand bien même ne se rappelait-elle pas de son premier enfant, elle savait les marques de grossesse qu’elle avait sur son corps, les vergitures, les mois pour que son ventre redevienne plat et ferme. Elle ne voulait pas revivre cela. Même si elle ne se souvenait plus exactement de sa grossesse, elle se disait qu’elle avait eu à vivre ce qu’elle voulait vivre à ce moment-là et que cela lui suffisait. Son bébé était à l’Ordre, elle avait fait son devoir.
Mais la réalisation alors qu’elle ne pourrait cette fois-ci, aller voir les Sœurs d’Amphiltée s’imposa en elle. Jamais elles n’accepteraient qu’elle se débarrasse de la vie qui grandissait en elle, parce que les sœurs valorisaient la vie. L’Ordre aussi.
Ithara était toute seule cette fois-ci.
Alors, Ithara fit la seule chose qu’elle savait qu’elle devait faire. Le marché noir russe n’était pas difficile à trouver et beaucoup de contrats se prenaient aussi dans ces endroits. Trouver la potion pour arrêter les grossesses ne fut alors pas difficile.
Lorsqu’elle s’enferma dans sa chambre d’hôtel, prenant deux jours et indiquant qu’elle ne voulait pas être dérangée, Ithara tremblait.
L’Ordre ne lui pardonnerait jamais s’ils savaient. Mais elle avait fait son choix. Elle ne voulait pas de cette grossesse. Livide, elle avait longuement prié Autolycos de lui pardonner et pour la première fois depuis longtemps, elle avait également prié Artémis de l’aider, de la protéger et de l’aider à passer cette épreuve qu’elle savait déjà traumatisante.
Lorsqu’elle trouva le courage de boire la potion, elle réalisa non sans un certain désespoir que mourir comme cela ne lui plaisait pas.
Les heures qui suivirent furent sombres. Entre cris de douleurs, pleurs et prières, elle fut tentée d’en finir, se planter une de ses flèches dans le cœur. Sa souffrance, ainsi, serait terminée avant même qu’elle ne réalise.
Mais après des heures dans le noir, elle se réveilla au petit matin, faible, le regard vide et écouta les oisillons du nid qui s’était formé sous la charpente du toit au dessus de la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Elle avait survécu. Elle respirait encore. Mais avec elle, et elle le sentait, les désirs de maternités s’étaient envolés. Elle ne regretta pas un instant son choix même des années plus tard. Elle saignait encore de ses menstruations, mais intimement, elle savait : plus jamais elle ne porterait un enfant.
Dès lors, elle se mit à éviter l’Oracle le peu où elle retournait à Ithaque, consciente que s’iel savait pour elle, elle ferait face à un procès pour trahison envers l’Ordre.
Alors, Ithara enferma dans les souvenirs liés à l’Ordre avec son tatouage cet évènement et considéra qu’il était oublié, sans jamais revenir dessus et parce qu’elle était et avait toujours été une survivante.

(...)

Russia lui avait demandé de l’accompagner alors qu’elle aussi sentait le tatouage dans son dos lui faire mal. Elle était alors venue, ombre silencieuse à ses côtés. Lorsqu’elle avait aperçu le visage d’une beauté inégalable de Ruwa Besada, celle qui s’était attisée tant de haine parce qu’elle avait survécu à l’Ordre, Ithara avait été enfin satisfaite de la rencontrer. Il fallait dire que depuis le procès de Skipion et sa trahison de l’Ordre, cette femme était aussi détestée que l’objet de curiosités parmi l’Ordre. Ithare, elle, ne ressentait pas grand-chose envers cette femme qu’elle considérait simplement comme une femme qui avait fait ce qu’elle devait faire pour survivre et qui semblait avoir plus de couilles que de nombreux assassins de l’Ordre… y compris Europa qu’Ithara détestait cordialement.
Lorsqu’elle avait appris qu’Atreus avait été désigné par Europa pour surveiller la femme enceinte, Ithara avait su exactement ce que l’Ordre comptait faire.
« Est-ce vraiment une bonne idée de provoquer à ce point Skipion ? » demanda-t-elle en levant les yeux vers le ciel, s’adressant à Autolycos directement.
Somme toute, Ithara se convainquit qu’elle avait bien fait de faire ce qu’elle avait à faire 15 ans auparavant et elle avait à présent la confirmation que l’Ordre la traiterait en procès et la condamnerait pour ce qu’elle s’était fait à elle-même s’il savait. Pourtant, jamais elle n’avait considéré son dieu, Autolycos.
Ithara, malgré ses questionnements, n’était pas intervenue. Les affaires de Skipion avaient fait parler. Ithara restait toujours ambivalente le concernant. Elle pouvait comprendre ce qui l’avait motivé, vingt ans auparavant à ne pas tuer cette femme. Elle essayait d’imaginer Ruwa à seize ans, et elle se dit que sans doute aurait-il dû le faire. Parce qu’à présent, il avait créé un monstre. Un monstre qui arrivait à faire un beau bordel dans l’Ordre.
Mais était-ce réellement elle ou était-ce simplement les gens qui la commandaient ? Est-ce que les failles qu’elle avait révélées n’étaient pas là avant ? Sa présence, vivante, en bonne santé et portant un enfant d’assassin, n’était pas le signe de l’accentuation des gangrènes qui poussaient dans leur organisation ?
Ithara se trouva bien dégoûtée subitement. Sans doute était-ce ces années à se refermer sur elle-même, à tuer des assassins qu’elle savait que Russia lui envoyait indirectement, à se défier de plus en plus de lui et surtout à revoir ces incendies qui la tenait éveillée la nuit. Elle avait souvent repensé à ce qu’Africa lui avait dit et plus le temps passait, plus elle savait qu’elle avait raison.
Ithara était une Wild Card depuis le début.
Otrera n’était pas morte. Quelque part sur le chemin, elle était de nouveau née comme un phénix et s’était faite petite pour ne pas attirer l’attention. Ces visions fragmentés d’incendie, elle en était maintenant quasi certaine, c’était la vie d’Otrera. Mais elle n’avait pas encore parcouru le chemin de vouloir retourner dans ces souvenirs-là. Parce qu’elle savait qu’ils étaient trop douloureux et qu’elle n’était pas prête.
Lorsque Skipion était arrivé, elle avait été dans la foule des assassins dans le théâtre. Mais ce n’était pas lui qu’elle regardait. Ses yeux étaient fixés sur l’assassine, Léto, au masque de loup.
Et quelque chose se passa en elle.
Quoi ? Elle n’arriva pas à le déterminer, mais elle avait l’impression que quelque chose se battait à l’intérieur d’elle-même, à tel point qu’un mal de tête, une migraine la saisit d’un seul coup. Expirant, Ithara se leva et bouscula d’autres assassins alors que Skipion, Léto et Ruwa se retrouvaient face à leur condamnation courue d’avance.
Elle sortit et manqua de s’effondrer de douleur contre un des murs. Se tenant la tête entre les mains, Ithara attendit dans le noir que la migraine passe.

(...)

Elle avait entendu dire que Skipion avait réussi cet exploit. Il était devenu Europa. Il avait tiré son marché. Ithara, qui avait passé le reste de la nuit à attendre que sa migraine ne passe, sans arriver à comprendre pourquoi elle était venue, n’en avait rien pensé, mais elle savait à présent qu’elle ne pourrait pas faire confiance à Skipion. S’il avait été une Wild Card, maintenant, il était une Tête de l’Ordre et cela voulait dire qu’il enverrait des assassins la tuer. Si Russia, qui l’avait protégée toute sa vie continuait à le faire, pourquoi Europa ne le ferait-il pas ? Ithara ne voulait pas du pouvoir, elle, même si elle savait que ce serait la seule façon de survivre à tout cela.
Quoi qu’Autolycos et Artemis, ses parents, eurent tracé pour elle, elle l’acceptait.
Alors, quand son dos avait brûlé pour lui indiquer qu’elle avait un nouveau contrat, Ithara n’avait pas hésité. Se faufilant dans la demeure, masquée de son masque d’ourse magnifique, Ithara était arrivée devant son client.
La mission n’était pas une mission comme les autres, elle le savait. Sa cible se trouvait en Angleterre, réfugiée et se pensant protégée. Ithara savait que si elle mettait les pieds là bas, elle serait sur le territoire d’Europa.
Cela ne l’arrêta pas.
Lorsque les premiers bâtiments dévastés par les bombes étaient apparus sous ses yeux, elle s’était sentie pour la première fois, depuis très longtemps respirer.
Ici, elle était loin de Russia. Ici, elle était loin de son emprise.
Son arc et ses flèches dans son dos, la fille des ourses se mit en marche pour atteindre le monde magique sorcier, silencieuse, déterminée à atteindre sa cible. Un fils tissés par les Moires de plus à couper.