évolution de dagmar koren

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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Trois enfants sur le rivage.
Ils étaient les rois du monde. Leur royaume s’étendait des montagnes de l’Europe de l’Est aux plages de galet d’Irlande. Ils avaient déjà beaucoup voyagé et ils continueraient sans doute de le faire.
Aujourd’hui, leur monde s’étendait de la plage jusqu’aux falaises écossaises, ces mêmes falaises qu’ils grimpaient comme s’ils volaient.
Erast était en tête, le plus fort et le futur défenseur de la tribu ; Liudmyla était derrière-elle, plus frêle, moins à grimper les falaises d’habitude. Mais c’était elle, Dagmar qui l’avait suppliée avant de lui promettre de lui donner le carré de chocolat que lui donnerait la guérisseuse de la tribu, seul douceur « sophistiquée » qu’ils pouvaient s’offrir et qu’ils s’autorisaient de manger.
Alors, elle grimpe Dagmar. Elle grimpe et sent ses doigts se refermer sur la pierre rugueuse. Elle grimace mais elle continue.
« Allé Dada ! » s’écrit Erast suivi de près de Liudmyla qui l’avait rejointe. Elle a toujours été plus lente et plus petite mais c’était elle qu’ils suivaient partout où elle allait.
Elle souffle fort et elle grimpe encore.
La main d’Erast se referme sur la sienne et il la soulève presque pour la mettre sur la terre ferme.
« J’ai réussi !! » s’exclame Dagmar avec ses dents de laits en moins et les autres qui repoussent.
Ils rient et se tapent dans les mains avant de grimacer parce qu’ils ont les mains qui leurs font mal à force de grimper.
Le silence retombe.
Les trois enfants regardent derrière leurs épaules.
Aucun adulte.
Leurs petites mains viennent se serrer et ils s’approchent du vide. Le cœur battant, Dagmar se dit que c’est bien haut. Elle n’a pas peur pour autant. Les grands le font, pourquoi pas eux ?
Petits regards échangés malicieux.
« On se tient fort la main pour pas se lâcher d’accord ? » demanda Liudmyla.
« Je vous lâche pas. » répondit Erast.
« Moi non plus ! On y va à trois montagnes ? Une montagne… deux montagnes…. TROIS MONTAGNES ! »
Ils sautent mains dans la mains, hurlant de peur et de joie.
Libres.

Elle ne comprend rien à ces lettres qui se bousculent. Parfois, elle s’énerve. Parfois, elle regarde la feuille l’air absente. Il fait beau dehors.
D’autres fois, son visage s’illumine fièrement quand elle comprend. Mais décidément, pourquoi est ce que c’est si compliqué d’apprendre à lire ?
De cet épisode à Poudlard où elle a été tout le temps tutorée, elle en a toujours gardé un malaise de l’écriture. Dans une interview, une des rares qu’elle a donnée de sa vie, elle dira qu’elle a toujours douté de ses talents d’écrivaine mais qu’elle a toujours aimé utilisé l’encre et former des lettres. Que c’est comme donner la vie en quelque sorte sauf que ce n’est pas les plantes. Que c’est toujours les hommes de sa vie qui l’ont poussée à publier mais qu’elle n’y a jamais pensé à la base en premier.
Pourtant, des lettres, elle en a échangé avec sa famille, avec les autres et l’odeur du papier lui plait.

Les petites mains s’affairent sur ses cheveux y logeant des fleurs de toutes les couleurs. Elle ressemble à une nymphe de l’antiquité, sa beauté sculptée dans le marbre même. Aujourd’hui est un jour où elle devient officiellement la membre confirmée de la tribu. Son monde après Poudlard ne se résume plus qu’à ce rite, le rite de la jeune fille ou du jeune homme.
Pieds nue, elle avance, nue de bijoux, de tissus, corps qui s’enfonce à même l’eau de la rivière. L’eau est fraîche, elle frissonne tandis que la prêtresse s’approche dans sa robe brune. La voilà qui se transforme en abeille et dans son champ d’abeille convoque la ruche que la tribu emporte toujours avec elle.
« N’aie pas peur. » lui souffle-t-on.
Elle n’a pas peur même lorsque les multiples piqûres la prennent et la piquent, même lorsqu’elle sent la fièvre monter. Lentement des mains viennent l’immerger alors qu’elle voit le monde s’effriter, hallucinations auditives et visuelles.
Un sourire sur les lèvres, la douleur ensuite, comme lorsqu’on donne la vie.


La chasse avait commencée.
Ce rituel n’était pas anodin, pas pour les deux enfants de la tribu. Ils s’étaient promis de le faire ensemble parce qu’ils avaient toujours tout fait ensemble. Liudmyla ne viendrait pas, elle n’était pas comme eux et ils ne lui en voulaient pas.
Lorsqu’il a fallu partir de la tribu, le frère et les sœurs se sont étreints. On se reverra. se promirent-ils. Et sans rien emporter derrière eux, Erast et Dagmar s’en vont.

Il avait décidé de remonter au nord, la laissant derrière lui avec une seule et unique chose pour se défendre. Sa lance. La plus belle qu’il eut faite pendant tout leur voyage. Elle s’en était saisie en riant.
« Voyons, je ne suis pas une guerrière comme toi. »
« Prends-la. » avait-il insisté.
Alors, elle l’avait prise.
Elle avait bien fait, dans la nuit sous la lune à moitié pleine, la louve avait surgi. Dagmar sut alors : sa chasse touchait à sa fin. Il y avait une légende selon laquelle tout enfant partie à la Chasse devrait ramener la peau d’un animal totem, comme une divine providence qu’il revienne glorieux et puissant.
Elle était là, c’était elle son trophée.
La lutte a été rude mais jamais Dagmar n’a lâchée, même quand les dents se sont refermées sur sa cuisse. La lance a traversé la louve qui s’est effondrée. Elle se sentait puissante. Elle se sentait indestructible, couverte du sang de sa chasse.
Elle ne l’a jamais quittée cette peau de louve qui vient parfois recouvrir son corps nu lorsqu’elle a froid. Ses doigts se referment sur la peau avec un amour non dissimulé et c’est malicieuse qu’elle pose son regard d’eau sur la peau qu’Erast a ramenée, celle d’un ours.

Trois enfants dans sa matrice.
La première issue d’un viol, Dagmar aura pourtant éprouvé le plus d’amour et d’attachement envers elle, le plus de regrets aussi. Elody la parfaite qui aspirait à plus grand, qui n’a jamais su se contenter de la tribu. La déchirure est vive et encore saignante. Elody qui tombe enceinte et abandonne ses enfants. Désaccord et douleurs de Dagmar qui aurait aimé les connaitre petits. La tribu aura décidé de la rejeter définitivement lors de l’abandon de trop. Dagmar, avec les années regrette de ne pas avoir su trouver les mots pour les convaincre. Les deux femmes se parlent peu et Elody est un sujet que Dagmar n’évoque pas, ne la comprenant pas, ne sachant pas quoi dire, pas quoi penser mais culpabilisant : qu’a-t-elle raté ? Qu’a-t-elle trop fait ? Est-ce possible un jour de se réconcilier ?
La deuxième issue d’un inconnu dont elle ne sait même pas le nom, effacé parce que sans importance. Danica, l’étoile du matin, celle qui rentre dans les pas de sa mère, qui l’admire autant qu’elle l’idéalise parfois un peu trop. Danica qui ressemble le plus à sa mère, veut la rendre fière, l’a toujours rendue fière. Les origines, pourtant, deviennent un sujet de plus en plus récurrent et Dagmar sait qu’elle devra peut-être faire l’effort de solliciter sa mémoire pour aider sa fille à rassembler les pièces du puzzles.
Le dernier issu de l’amour passionné, celui qui s’est invité dans sa matrice alors qu’elle avait quitté l’amour de sa vie. Ivan est fort, il l’a toujours été. Ivan est aussi celui qu’elle a le plus protégé. Il n’a jamais su l’identité de son père, n’en a jamais souffert non plus dans la tribu où il a su trouver en son oncle, Erast la figure d’un père. Il est sa lance, son épée guerrière, celui qui reprend la protection de la tribu même au sein de la LDV. Pourtant, il sait : quelque chose s’est passé, maman a l’aura faiblie depuis quelques temps comme si elle avait un coup au cœur.

Il aura été son tout. Il aura été son amant, jamais son mari. L’amour naissant alors qu’ils n’étaient que deux adolescents, ils ne l’ont même pas fait exprès.
Des hauts et des bas, une relation tumultueuse et les sentiments toujours comme aux premiers regards. Ils se sont aimés. Ils se sont détestés. Ils n’ont jamais su vivre ensemble, lui attendant qu’elle rentre dans le moule, elle attendant qu’il défonce le moule.
Et là sous ses derniers baisers, elle se dit que comme toujours, il va rentrer, qu’il reviendra de Dunkerque, qu’ils se sont toujours retrouvés à un moment donné. Et en même temps, il y a cette incompréhension. Pourquoi assumer cela et pas elle ? Qu’est-ce que la guerre a de si attirant pour lui ? Qu’est-ce qu’elle n’a pas, jamais eue ?  

Elle se souvient des couleurs et des rires. Il n’y avait pas encore les cabarets comme elle les connait maintenant. C’était plutôt dans des cafés où les femmes et les hommes défiaient les mœurs avec ces grands gestes d’une grâce et d’une technicité qui l’ont tout de suite époustouflée.  Elle en a profité et en un rien de temps elle apprenait déjà, en riant, plus belle et plus libre que jamais.
Villy était la plus belle, la plus coquine, l’infatigable.
Elle, elle décide de s’encourager toute seule et bien vite, elle parvient à faire rentrer les filles qu’elle a rencontré dans un cabaret, jouant de son aura. Et voilà que le monde de paillettes s’ouvre à elle.
Années décadentes et années bien folles, bien heureuses.
Si l’élasticité de son corps ainsi que la souplesse avec l’âge reste à désirer, elle n’a jamais abandonné certains pas, encore moins ses fameuses robes qu’elle remet de temps en temps, retrouvant une jeunesse romantique et aventurière. Elle n’est pas nostalgique de la femme qu’elle a été, elle aimerait juste parfois que ses os arrêtent de lui faire mal pour retrouver cette magie du spectacle et du french cancan qui l’a tant fait vibrée.

Le cœur fendu d’une douleur qui fait mal. Alors qu’elle referme ses doigts sur les potions, elle se dit qu’elle n’est plus trop dérangée par le fait d’être dans la LDV. Son seul regret c’est de ne pas avoir eu le choix, d’avoir abandonné les têtes blondes de Poudlard. Elle l’aurait bien fait naturellement ce service, consciente que ses soins sont appréciés. Mais elle joue son rôle Dagmar, parfois silencieuse, parfois bavarde comme jamais tant parce qu’elle sait que pour apaiser la douleur il faut parfois distraire.
Elle est une bonne figure, apaisante et les siens autant que d’autres hybrides vont souvent vers elle pour être sûr de trouver un endroit sécurisant.
Pour autant, le goût amer persiste. Elle qui a donné sa vie à l’enseignement, elle qui a donné sa vie au savoir, voilà comment elle est remerciée.