Burn it to the ground - Willow

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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“Si c’est pas malheureux ça, pauvre petit, il est tellement mignon pourtant”

Dans les tréfonds de tes plus lointains souvenirs, dans ceux qui n’avaient pas encore de contours, pas vraiment de couleurs ni de substance elle était déjà là cette petite phrase assassine, derrière les portes closes, dans les regards glissant furtivement sur toi, dans les mains posées sur tes épaules, dans ceux qui ne pouvaient s’empêcher de t'étreindre ou caresser tes joues. Elle était dans leur compassion, dans leur pitié pour l’adorable petit garçon que tu étais, trop beau pour souffrir, trop beau pour être abandonné, trop beau pour avoir été ainsi rejeté et tu les regardais tous avec une infinie confusion dans les yeux, pas certain de comprendre quoique ce soit si ce n'est que tu avais tout intérêt à jouer leur jeu, raconter les histoires qu’ils voulaient s’entendre conter.
Ils ne voulaient pas t’entendre leur dire en face que tu te fichais bien d’être le fils d’inconnus, un mioche au sang souillé selon eux, sublimé selon toi, ils ne voulaient pas t’entendre dire que te permettre de survivre était si ce n'est un devoir, de la décence et non un acte profondément altruiste, ils ne voulaient pas t’entendre dire que n’être personne te permettait justement d’être n’importe qui, que tu n’étais pas esclave comme eux de leurs alliances, de leurs mariages, de leurs jeux de pouvoir pathétiques qui gardaient leurs yeux irrémédiablement clos,  ils voulaient que tu racontes l’histoire de l’orphelin malheureux, celui qu’on vient sauver, ils voulaient que tu flattes leur ego fragile, incapables de s’aimer comme tu t’aimais toi, ils voulaient que tu sois à l’image de leurs livres de contes, de leur misérabilisme crasse dont tu avais mémorisé les moindres mots, les moindres phrases, lettres jusqu’aux tâches du papier jauni alors tu avais commencé à tisser la toile de tes mensonges et de tes manipulations faisant de ta vie une scène permanente dont tu étais l’unique acteur.

“Alors ce sera Serdaigle”

Le choixpeau avait mis une éternité à se décider ou du moins avais-tu eu l’impression de rester une éternité assis devant tout le monde, le bois du tabouret mordant ta fesse gauche inconfortablement alors que le cuir de tes nouvelles chaussures maltraitant tes orteils te rappelait pourquoi tu ne t’habillais jamais de la sorte habituellement.
Tu avais vaguement entendu ses hésitations, la difficulté qu’il avait eu à démêler ton ambition de ta curiosité, ta soif d’apprendre insatiable (même si l’avenir confirmerait qu’elle ne se portait que rarement sur ce qu’on attendait de toi) de ton désir de pouvoir, et tout ce que tu avais pu penser avait simplement été que tu n’en avais sérieusement rien à faire de tout ça et que tu avais faim, accessoirement.
Ta scolarité allait être un désastre sur le plan académique, tu en avais une conscience aiguë, sachant très bien ce que tu étais, conscience qui s’était renforcée la première fois que tu avais tenu ta baguette entre tes mains avec une perplexité mal dissimulée, alors savoir qui des rouges, des verts, des bleus ou des jaunes te verraient passer sept années à te ridiculiser (avec panache mais tout de même) chaque fois qu’on te demanderait de l’utiliser te laissait de marbre, le seul soupir de soulagement qui t’avait échappé alors que la table explosait de joie avait été en l'honneur de ton pauvre postérieur malmené.

“Je sais ce que je fais”

Ces mots là avaient ponctué ta vie, gamin très sûr de lui, trop sûr de lui, à l’égo déjà démesuré et au culot incomparable, il précédait bien souvent échecs et catastrophes en tout genre comme un avertissement fait au reste de l’humanité mais celui là était différent, il avait les accents doux et sincères de ta voix qu’on n’entendait que si rarement, les notes d’un attachement profond quoique rarement exprimé,  il était adressé à ceux qui t’avaient vu grandir et qui s’inquiétaient de te voir partir à peine la fumée des bougies marquant ta majorité évaporée dans les airs et il camouflait surtout une vérité que tu ne pouvais pas réellement leur avouer. Attrapé dans les filets d’un homme que tu avais pris pour modèle à l’instant même où tu l’avais vu, sang de vélane comme toi mais plus âgé et tellement plus influent, tellement plus fascinant, tu avais accepté ce qu'il te demandait de faire sans sourciller, il appelait ceux qui s'adonnaient à ce genre de travail hirondelles, joli mot qui sonnait synonyme de destinée à tes oreilles, la voie toute tracée pour le manipulateur que tu étais et si tu devais donner ton corps en chemin, en faire non plus seulement ton arme mais ton outil de travail alors tu le clâmais : qu’il en soit ainsi.

“On se fait chier un peu non ?”

Celui là avait été pensé plus que dit à haute voix alors que tu étouffais un bâillement derrière ta main en mordant dans un énième scone, tu ne savais plus exactement ce qui t’avait poussé à venir ici, toi qui clamait haut et fort à qui voulait bien t’écouter (tout le monde si tu souhaitais vraiment un auditoire) que tu haïssais la politique, les politiciens, tous des faibles, des incapables, des égoïstes, des flans flageolants, des mous du bulbe, des couilles molles (...) Peut-être avais-tu eu un rare éclair d’intérêt pour les affaires du pays, ou un élan de masochisme, toujours était-il que tu regrettais amèrement cette décision lançant des regards de détresse aux alentours, mordant tes lèvres à sang pour ne pas faire d’esclandre jusqu’à ce qu’une voix te scotche sur ta chaise, le scone en bouche et les yeux écarquillés. Enfin quelqu’un qui voyait le monde de la même manière que toi, enfin quelqu’un qui méritait toute ton attention et ton intérêt.