Moments Before The Storm - Borislav

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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Tu étais un de ces enfants du silence, enfermé entre les murailles de ton propre monde que personne ne perçait jamais vraiment. Tu pouvais passer des heures entières à juste tourner les pages de ce livre que tu emmenais partout avec toi comme d’autres orphelins traînaient leurs peluches râpées dans leur sillage, dans ton esprit tu répétais devant les lettres qui dansaient sous tes yeux et que tu ne savais pas déchiffrer les histoires qu’un adulte t'avait lu et que tu avais mémorisé, parfois on pouvait même voir tes lèvres bouger en rythme mais aucun mot n'en sortait jamais. Tu n’allais pas vers les autres, tu ne les regardais pas, ne semblait même pas les voir,  à trois ans tu étais un petit garçon complètement muet qu’on avait déjà mis dans une case et qu’on s’efforçait sans mal d’oublier. Puis il y avait eu ce jour d’été où soudain du coin de la pièce dont tu ne bougeais que rarement tu t’étais levé, tes pieds nus ne faisant aucun bruit sur le sol froid pour te faufiler dans une autre. Aujourd’hui encore tu te souviens cet instinct, peut-être un prémisse de ce don manifesté des années plus tard ou quelque chose de bien plus inexplicable, de bien plus grand. Tes yeux sombres avaient rencontrés ceux d’un homme et cet homme avait refusé qu’on te chasse comme on chasserait un petit animal envahissant, il t’avait parlé cet homme là mais tu ne te rappelles plus des mots  juste de cette sensation particulière, celle d’avoir trouvé ta place, celle de rentrer à la maison et il avait été ta maison depuis. Malgré les épreuves, malgré les cris, lorsque tes yeux croisaient les siens comme ce jour là, tu rentrais toujours à la maison à ses côtés.


A 6 ans tu n’avais plus rien du petit garçon muet de l'orphelinat bulgare, rapidement les mots avaient réussi à trouver leur chemin de ton esprit jusqu’à tes lèvres et tu avais révélé toute la richesse de ton monde intérieur, de tes pensées à l’homme qui était devenu ton père. Rapidement tu avais cessé d’avoir peur, cessé de raser les murs et marcher sur la pointe des pieds dans le plus parfait des silences. Rapidement tu étais devenu un petit garçon comme tous les autres, heureux de vivre et dont les rires résonnaient contre les murs de la forteresse, pourtant ce jour là les rires s’étaient tus brutalement en plein envol alors que le monde se déchirait sous tes yeux pour laisser place à des images rapides, flous, que tu ne comprenais pas vraiment alors que tentais sans succès d’ouvrir la bouche pour crier. Respire. Comme les cauchemars. Respire.

“Borislav ?”

Le monde reprit ses formes, ses couleurs normales et tu réalisas soudain que, surpris par l’arrivée brutale de ce qui avait été ta première vision, tu avais trébuché, t’égratignant les mains et les genoux contre le sol froid, la douleur te faisant soudain monter les larmes aux yeux. Respire.

“Boris ?”

Tu relevas la tête, tombant sur ce visage que tu connaissais si bien et avec lui l’envie de courir te réfugier dans des bras sécurisants parce que tu n’y comprenais définitivement rien, parce que le monde avait disparu pour revenir et toi avec, parce que la sensation qui restait contre ta peau te donnait envie de disparaître, des larmes roulant sur tes joues rondes d’enfant. Respire.

“J’ai vu des choses dans ma tête.”

C’était ainsi qu’on avait découvert le seul héritage certain de ta famille biologique, le don de troisième œil et on l’avait célébré alors, comme toute forme de magie sans stigmatiser, tu n’avais plus jamais eu peur de ton don et plus jamais pleuré pour lui après ça parce que ce qui est magique est précieux et que tu ne l’étais que plus à présent, un diamant rare entre les doigts du meilleur joaillier.


Il était bien tard pour rentrer dans le château et n’ayant pas réellement envie d’entamer une nouvelle semaine de retenue sans avoir même terminé celle qui ne s’achèverait que le lendemain, tu hâtais le pas pour rejoindre la salle commune de ta maison et ne pus retenir un soupir de soulagement lorsque les portes se refermèrent derrière toi juste à temps, les yeux des quelques rares élèves encore présents te dévisageant comme si tu avais de la bouse de dragon sur le crâne.

“T’étais où Tourdesac ?”

Tu détestais ce nom là, tu détestais ne pas pouvoir être un Grindelwald parmi eux même si tu comprenais pourquoi en écoutant leurs murmures, leurs mensonges à son sujet.  
Tu détestais leurs petits regards qui chuchotaient silencieusement que tu ne les trompais pas et que Tourdesac ou Grindelwald ils te voyaient comme un danger, par tes actions, par tes paroles, par tes intérêts. Tu détestais leurs nez plissés, tu détestais leurs airs de fouine et à 13 ans tu n’arrivais pas encore à t’éloigner quand les émotions gagnaient du terrain sur la rationalité.

“En train de torturer un première année dans la forêt interdite c’est évident. Bouge.”

Tu pris place sans ménagement sur le fauteuil à côté de la langue de vipère incapable de se mêler de ses affaires, sortant de ton sac ton livre dans l’espoir d’essayer d’apaiser ton ressentiment constant lorsque tes yeux accrochèrent malgré eux un autre élève plus loin en train de jouer avec la flamme d’un zippo. Soudain la flamme se mit à vaciller, onduler, changer de forme, tu sentais presque le monde commencer à se déchirer avant de détourner le regard brutalement, comprenant bien vite que tu l’avais trouvé, le déclencheur qui permettrait de provoquer tes visions et à terme de les orienter, les contrôler. Tu te relevas brusquement te plantant devant l’autre en lui tendant une main déterminée.

“Passe moi ça”

Ce n’était pas une question, c’était exigé.


Ton père. Emprisonné. Les mots tournaient et retournaient dans ta tête sans que tu ne sois capable de comprendre le lien entre les deux, dans quel monde n’était-ce pas clair qu’il ne faisait qu’agir pour les sorciers ? Pour le plus grand bien ?
Âgé de maintenant 17 ans tu comprenais et contrôlais bien mieux tes émotions, suffisamment pour savoir qu’au-delà de la colère, de la frustration de voir encore et toujours ces sorciers incapables de comprendre la vision de ton père, c’était la tristesse qui dominait parce que tu ne voulais pas, tu ne pouvais pas supporter l’image mentale de l’homme que tu aimais plus que les autres dans une cellule, parce que tu ne supportais pas l’idée qu’on puisse lui faire du mal, parce que le savoir si loin et pour un temps indéterminé te ravageait complètement, parce que tu ne voulais pas être loin de lui un instant de plus...Pour toujours ? Alors tu avais fuis les commérages à ce sujet de ceux qui ignoraient toujours ton identité, pour fondre en larmes dans l’intimité d’une salle de classe inutilisée, tu savais que les larmes étaient normales mais celles-là, tu ne voulais pas les justifie, tu voulais qu'elles soient ton secret.
Ce fut  là qu’il entra dans ta vie celui qui briserait tout deux ans après, au sortir de cette salle alors que tu portais encore sur le visage les stigmates de ta tristesse, c’était probablement pour ça qu’il avait jeté son dévolu sur toi finalement. Un rapace sur sa proie.


Ce n’était pas la première fois et pourtant ce serait la dernière. Les fois d’avant tu n’avais pas vu ou pas voulu voir, balayant d’un revers de main les inquiétudes des uns et des autres avec un de tes sourires désarmants, “ça va”, “c’était un accident” et tu ne mentais même pas, tu ne mentais jamais. Tu y croyais toi, au fait que ce geste brusque qui avait imprimé la trace de ses doigts sur ton poignet durant des jours n’avait été que maladresse, tu y croyais toi au fait que cette première gifle là qui avait fendu ta lèvre n’avait été que de la colère, qu'une exception, tu y croyais au fait que les insultes n’étaient que des impulsions, tu y croyais au fait qu’il n’y avait rien de grave ou de malsain dans cette relation, oubliant là tous les enseignements de Stasya, tout ce qui aurait dû t’alerter pour l’amour d’un homme mais ce soir c’était trop. Ce soir c’était l’apothéose, le bouquet final, l’explosion d’une relation toxique, ce soir ce n’était plus une gifle qui échappait, c’était un vrai déchaînement pour des raisons qui te dépassaient, tu avais fait de ton mieux pour te défendre même après avoir été privé de ta baguette, utilisant la technique la plus moldue mais la plus primitive et humaine aussi qui consistait à lever ton genoux pour viser son entrejambe avec la force qu’il te restait.

“C’est terminé Edgar. C’est terminé.”

C’était tout ce que tu avais réussi à articuler avant de transplaner jusque chez toi, un goût métallique de sang sur les lèvres et l’amertume de la honte au fond des yeux. Tu leur avais tout dit pourtant entre tes larmes,  à quel point tu avais été naïf, à quel point tu n’avais rien vu, à quel point la spirale t’avait emporté et à quel point surtout on ne t’y prendrait plus.


Il y a eu les cris des banshee, il y a eu le ciel qui s’est ouvert et les bombes qui ont commencé à tout ravager, arracher les vies des sorciers. Il y a eu les restrictions, Londres devenue si triste, il y a eu les départs des enfants et de leurs rires et puis il y a eu cette lettre aussi, celle qui vous donnait l’ordre de vous en aller. Qu’allaient-ils vous arracher encore après ça ? Qu’allait-il vous rester ?

Au delà de la colère que t’inspirait Ophelia, nièce de la femme qui vous hébergeait, ironie du sort, et que tu faisais passer à coup de mesquineries dignes d’un enfant, c’était l’impuissance qui te gagnait et qui parfois te faisait exploser lorsque tu croisais le regard de ton père. Ce n’était pas un manque d’amour c’était l’impatience de tes 23 ans, c’était la peur de ne pas réussir à vivre beaucoup plus longtemps. Tu le suppliais silencieusement, maladroitement, à travers les lignes des mots durs que tu lui adressais c’était ton désarroi qu’il fallait entendre, c’était ces mots là : Fais quelque chose parce que tu es le seul à en avoir le pouvoir papa.

Avais-tu seulement conscience que le même pouvoir sommeillait déjà en toi ?