I am out with lanterns. Looking for myself. (ariadne)

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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‘A table !’ hurla la voix de sa soeur depuis les escaliers. Ariadne leva les yeux de son livre, hésita une petite seconde, juste le temps de vérifier l’heure sur la montre à gousset qu’elle avait volé dans les affaires de son père après son départ - internement. Sa mère avait fait semblant de ne rien voir, les yeux injectés de sang et la fatigue visible dans ses mouvements lourds et lents, enceinte jusqu’aux yeux et mère célibataire. Ah, comme elle devait les aimer ses enfants, pour ne pas fuir comme le mari de leur tante. On toqua à sa porte et un homme familier, disparu depuis longtemps, lui sourit largement ‘Ariadne, il est temps d’aller manger poupette.’ Ariadne cligna des yeux quand une version miniature d'elle-même se jeta dans les bras de son père, posa son livre à côté de son journal et ouvrit celui-ci à la page du jour. Elle était vierge. Comme toutes les pages depuis cette ignoble, horrible- Elle interrompit cette pensée avant que sa mémoire traîtresse se décide à lui rappeler ce qu’elle avait vu. Elle inscrivit la vision de son père avec une écriture soignée. Peut-être cela voulait-il dire qu’il était temps de lui rendre visite. Elle ne se souvenait plus quand est-ce qu’elle était allée à l’hôpital pour une visite de courtoisie. Une fois depuis la vision, c’était presque sûr, peut-être deux. ‘Ariadne, à table !’ s’exclama-t-on depuis le couloir, des pas vifs martelant les marches comme un éléphant. Elle roula des yeux au manque de délicatesse de Carmenta, un sourire amusée aux lèvres, et se leva. Une éternelle enfant leur petite soeur.

Dans le couloir, elle croisa Damon qui sourit à son sourire et lui fit signe d’avancer. Elle fronça les sourcils. ‘Vas-y, vas-y.’ ‘Nan, t’as besoin d’être poussée je le sens. Tes os se font vieux’ railla-t-il. Elle haussa un sourcil mais obéit, avança et descendit prudemment les escaliers, une main sur le mur. ‘Ananke va être ravie de savoir que tu la trouves vieille.’ Un bruit moqueur derrière elle et les pas lourds de son frère si grand sur les escaliers grinçants. ‘Elle l’est.’ Ariadne se baissa pour éviter le torchon qui vola dans leur direction, plongeant son frère dans la confusion et resta à terre quelques secondes supplémentaires. Comme l’image qui vient après le bruit, le torchon de cuisine apparut une deuxième fois et frappa Damon en pleine face. Cette fois-ci il râla. Elle lui adressa un regard amusé en entrant dans la cuisine. Ananke avait l’air bien trop fière d’elle, sa baguette tournoyant en direction des casseroles affairées et Carmenta gloussait en dressant la table. Damon entra juste après Ariadne, le torchon en main et râlant avec toute la pétulance d’un adolescent boutonneux qu’il n’était plus. Il le fut, quelques secondes, sous les yeux de sa soeur, avant de redevenir le grand jeune homme un peu trop fin, un peu trop dégingandé, mais si charmant, qu’il était devenu.

Ariadne s’assit à table, prenant garde à ne pas déranger le travail de Carmenta ou de gêner Ananke, Damon attrapant un saladier sur une étagère supérieur en riant de leur petite soeur à la petite taille. Le saladier glissa soudainement des mains de son frère, tomba sur les doigts de sa soeur qui poussa un cri de surprise, de douleur, des larmes roulant sur ses joues rondes, ses doigts rouges, un ongle cassé en son milieu. Ariadne écarquilla les yeux et se leva précipitamment ‘Carmenta ! Tu vas bien ?’ Deux regards incompréhensifs se tournèrent vers elle, les doigts de Carmenta intacts, le saladier dans les mains de Damon et Ananke toujours à sa cuisine - Ananke toujours consciente de ce qu’il s’était passé avant les autres, qui cachait son inquiétude comme on cacherait une tare. Ariadne se redressa, sourit, un peu honteuse, un peu rassurée que sa soeur aille bien. ‘Désolée, j’ai vu le saladier tomber sur les doigts de Carmenta. Ca avait l’air douloureux.’ Les regards de ses benjamins s’éclaircirent de compréhension et Damon posa le saladier avec précaution. Carmenta, elle, mis les poings sur ses hanches, un air mécontent peint sur le visage. ‘Ariadne, tu fais pas d’efforts !’ Elle lui sourit, et sourit à leur mère dans la même posture, avec la même expression - la même peur cachée dans le froncement de sourcil. ‘Petite soeur, le jour où tu pourras imiter maman avec succès n’est pas encore arrivé.’ Leur aînée transvasa le plat de la casserole à un grand plat et lévita celui-ci jusqu’au centre de la table. Elle adressa un regard peu impressionné à sa petite soeur qui tordit un bout de sa manche entre ses doigts. ‘Mais pour moi si. Tu sais que tu dois faire attention avec ça.’ Ariadne se rassit - se laissa tomber sur sa chaise - et lissa sa jupe, une moue boudeuse sur les lèvres. ‘J’ai empêché un drame, c’est pas si mal.’ ‘Elle aurait survécu.’ ‘Pour sa défense, Carmenta n’a aucune résistance à la douleur’ railla Damon. Carmenta protesta immédiatement, changeant de conversation dans la foulée et Ariadne lança un sourire reconnaissant à son frère. Son cousin ? Elle cligna des yeux, son sourire redevint réel. Non, c’était bien son frère.

Le repas fut léger, bon enfant, malgré l’absence criante de leur mère. Celle-ci était allée séjourner chez une amie de ses proches amies dans la campagne galloise pour le mois pendant que ses enfants complotaient. Aucun d’eux ne voulait la tourmenter avec ce qu’ils avaient vu et ce qu’ils continuaient de voir - la mort et le feu s’invitant encore et encore dans leur vie. Et aucun d’eux non plus ne voulait la mêler aux intrigues sorcières, elle en avait suffisamment souffert en entrant dans la famille Trelawney. Leur brave, brave, mère. Ariadne détestait son absence. C’était comme une blessure purulente qui engloutissait son coeur ; sa voix et sa main dans ses cheveux qui avait toujours su l’ancrer dans le présent n’était plus là. Les lettres n’avaient pas la même saveur. Cela lui esquissait un dessin qu’elle n’appréciait pas, un dessin où elle n’était plus là - partie comme leur père. Elle détestait l’absence de sa mère.

A la fin du repas, Ananke resta assise au lieu d’immédiatement envoyer les casseroles et les assiettes se récurer dans le lavabo. Elle semblait prête à partir en guerre, dos droit, yeux sombres, mains croisées sur la table. Une femme aux cheveux de feu domptés en un chignon sévère, aux traits plus marqués mais à la même posture, la même stature, remplaça sa soeur l’espace de quelques secondes. Ariadne sourit, amusée, aimante, respectueuse. Ananke avait toujours ressemblé à leur chère Cassandra mais jamais autant que depuis qu’elle jouait à la matriarche.

‘Grindelwald a accepté de nous écouter. Il est revenu en Angleterre et nous offre une place dans le parti qu'il va créer.’ Ariadne pinça ses lèvres, Damon s’éclaira et Carmenta commença à jouer avec sa serviette. ‘Excellent !’ s’exclama leur frère optimiste et ambitieux. ‘Je sais pas, ces idées sont quand même… extrêmes, non ? D'après ce que tu nous as dit...’ soupira Carmenta. ‘Qu’est-ce qu’on lui doit en échange ?’ s’inquiéta Ariadne en croisant les bras. Sa cousine Medea l’imita avec exagération et sa jumelle Pandora lui tira la langue d’un coin de la cuisine. Elle cligna des yeux et se força à se concentrer sur la conversation. C’était important. Ananke soupira. ‘Il demande des visions régulières.’ ‘Quoi ?’ ‘Mais-’ ‘C’est Leonidas et moi qui allons nous en charger. Pas vous. Et surtout pas toi Ariadne.’ Elle lui adressa un regard sévère sévère et Ariadne leva les yeux au ciel, vaguement offensée qu’elle est besoin de le préciser. ‘Je doute qu’il s’intéresse à des visions du quotidien. C’est toi qui a les meilleures visions pour la politique.’ ‘Je préfère préciser.’ ‘Vous ne pouvez pas supporter cette charge à deux’ s’inquiéta Damon ‘laisse-moi aider, tu sais que je me maîtrise bien. Je peux le supporter.’ ‘Non.’ ‘Ananke, ne sois pas stupide’ intervint Ariadne avec un froncement de sourcil ‘vous allez vous effondrer et on a besoin de vous sains d’esprit. Accepte son aide. Il va le faire de toute façon, autant que ce soit sous tes conditions.’ La dispute dura longtemps. Carmenta, silencieuse, les regarda débattre pour trouver le meilleur moyen de vendre leur don tout en protégeant leur famille. Ariadne ne savait jamais ce qu’elle pensait de ces questions, c’était le bébé de la famille, tout le monde la protégeait. Elle l’observa sortir de la cuisine avec Damon, chuchotant furieusement, et se demanda ce qu’elle en pensait. Se demanda si elle devait s’inquiéter d’une idée stupide de sa part aussi.

Ananke plongea sa tête dans ses bras, posture rigide oubliée, et Ariadne l’observa patiemment. Pour une fois, pas de vision. Juste elle et sa soeur aînée déjà matriarche à même pas trente ans. La culpabilité se lova dans sa gorge. Elle ne faisait rien pour lui arranger les choses. Pour la énième fois, elle se demanda ce qu’il n’allait pas chez elle, se demanda pourquoi elle ne parvenait pas à contrôler ses visions. Elle ne voulait pas forcer sa mère et ses soeurs et frère à l’interner comme ils avaient dû interner leur père. Elle déglutit autour de la boule dans sa gorge et posa une main sur le bras de sa soeur. ‘Ca va aller. On va s’en sortir. Il fallait que quelqu’un sache.’ Sache pour l’horreur qui viendrait, pour la destruction que les humains inventeraient - pire que les sorts explosifs, pire que tout. Pour le goût de cendres et la mort dans les rues et les hurlements dans leurs oreilles et les terres empoisonnées. ‘Mais tu aurais préféré que ce soit Dumbledore.’ Ariadne laissa son regard parcourir leur petite cuisine, juste assez grande pour accueillir quatre adultes, vit un chat rayé qu’elle ne connaissait pas sauter sur le comptoir et se courber sous une caresse invisible. Elle ne pouvait le nier. ‘Oui, ses idées sont… plus douces. Meilleures pour la paix sur le long terme. Je pense.’ Ananke releva la tête et esquissa un sourire sans joie. Ses rides se creusèrent, ses cheveux blanchirent, ses yeux restèrent les mêmes et Ariadne se demanda cruellement si elle serait à ses côtés lorsque sa soeur vieillirait. ‘Trop douces. Il ne sera pas bien accueilli, pas dès le début.’ Ses yeux regardent ce qu'Ariadne ne voit pas et elle acquiesça à contrecoeur. Sa soeur est la plus douée de sa famille dans les visions politiques. ‘Seulement au début.’ ‘Seulement au début’ concéda sa soeur. 'Ca s'équilibrera plus tard.' Elle lui adressa un sourire avec une once d'opportunisme, le perdit sans transition, le redessina exactement identique. Pour la énième fois, Ariadne se demanda qui ou quoi décidait quelles visions seraient vues. Pourquoi lui montrer un sourire à quelques secondes d’intervalle ? Quel intérêt y avait-il à avoir des visions si faibles ? ‘S’il tient promesse, nous ne serons plus des parias. Tente de nouveau l’observatoire.’ Ariadne lui retourna son attention, yeux écarquillé, le coeur palpitant si vite dans sa poitrine qu’elle se sentit essoufflée. ‘Tu crois ?’ ‘Pourquoi pas ? Qui ne tente rien n’a rien.’ Le sourire de la cadette fut plus lent à émerger mais resplendissant. Un espoir fou dans sa poitrine.