this story ends in blood. (aurora)

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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30 JUIN 1932 - 17 -
tw: suicide, meurtre, troubles alimentaires, sang, overall bad mental health and very bad morals

La jeune sorcière sourit dans le miroir, ignorant la douleur. Les muscles de ses joues protestaient, se rebellaient contre l’abus. Les sourires étaient rares à Durmstrang, question culturelle et question d’entourage. Natashka avait été la seule à la faire rire aux éclats. Aurora avait de tendres souvenirs de leurs moments volés dans les recoins de l’école, de murmures entrelacés de baisers, de sourires complices entrecoupés de rires discrets.

Cela faisait un an que Natashka n’était plus.

Un an qu’elle avait été retrouvée avec un stiletto plongé dans la poitrine, baignant dans une flaque de son propre sang. Aurora se souvenait vivement de la scène. Son amie, recroquevillée, si petite, au milieu d’un terrain d’entraînement rarement utilisé ; ses cheveux de la couleur des flammes devenus aussi ternes que la cendre des foyers froids ; la salle imprégnée de l’odeur âcre, métallique, suffocante, de son sang devenu vermillion dans la lumière de l’aube. Une courte lettre froissée dans sa main qu’Aurora n’avait pas eu besoin de lire. Mes épaules ne sont pas assez solides, disait-elle, je n’ai plus la force de me relever.

Le miroir pencha lorsque le bâteau plongea dans une vague et Aurora Lestrange instilla de la chaleur dans ses yeux d’un bleu si clair qu’ils en paraissaient translucides. Un an déjà. Son chagrin avait été soigneusement rangé dans une petite boîte fermée à clef dans un coin de son esprit. Natashka avait été la meilleure d’entre eux, en tout point. Elle avait porté le monde sur ses épaules avec une détermination solaire et une générosité qui frisait la stupidité. Brillante, appréciée de tous. Aimée de la princesse Lestrange. Non que ça l’ait sauvé.

Le sourire menteur d’Aurora glissa de son visage, ses joues hurlant leur soulagement. Elle baissa les yeux sur ses mains, fit glisser son fin stiletto hors de sa manche d’un mouvement de poignet. Son pouce caressa doucement la garde tâchée. Une fois imprégnée dans le cuir, le sang n’en était jamais parti. Un destin approprié pour l’arme du crime.

Aurora se souvenait vivement de la scène.

Elles étaient sur le terrain d’entraînement après un duel de magie, respirations rendues lourdes par l’effort, satisfaites de leur duel, d’avoir pu utiliser des sorts de bien plus haut niveau qu’en classe ; de ceux qui étaient découvert dans les livres les plus anciens, qui étaient apprit hors des heures de classes, dans des salles peu utilisées, dans le dos des professeurs qui faisaient semblant de ne pas voir. Elles étaient assises au milieu du terrain d’entraînement, confiantes que personne ne les surprendrait à une heure si tardive. Natashka était pelotée dans ses bras, son dos contre elle, et lisait silencieusement une feuille de parchemin couvert de son élégante écriture. Aurora avait posé son menton au creux de son cou, y déposant de légers baisers. Un moment de paix, de félicité. Natashka n’avait pas crié lorsque le stiletto s’était logé entre ses côtes. N’avait fait qu’expirer un son de surprise lorsque la garde avait heurté sa peau. Aurora l’avait allongé avec délicatesse, un sort la faisant flotter au-dessus du corps agonisant de sa meilleure amie pour ne laisser aucune trace dans le sang qui commençait à cascader le long du poignard dans sa poitrine. Natashka avait saisi l’arme de sa main droite sans chercher à le déloger, sa main gauche serrant la lettre d’adieu qu’Aurora avait patiemment écrit pour elle. Elle se contentait de la regarder avec de grands yeux bordés de larmes, sa respiration irrégulière, le sang qui montait dans sa gorge la noyant progressivement, son sourire ensanglanté. Aurora avait déposé un dernier baiser sur son front, lui avait murmuré ses adieux et s’était éloignée.

Natashka avait porté le monde sur ses épaules, avait passé son temps à aider élèves et professeurs, à organiser activités sur activités pour lier les différentes promotions, à faire naître une douceur disparue dans cette école de violence et de glace. Elle avait fait de son mieux pour paraître parfaite, pour illuminer cette sombre école par sa simple présence. Elle avait été la meilleure d’entre eux. Aurora avait vu ses cernes s’assombrir, ses joues se creuser, sa peau perdre toute couleur, ses mains commencer à trembler, ses vêtements flotter autour de sa taille trop fine. Elle avait vu ses yeux gagner une lueur fiévreuse, l’avait entendu vomir après chaque repas, l’avait senti se perdre dans leurs étreintes et baisers pour arriver à oublier, avait observé ses lèvres lui mentir pour lui assurer qu’elle allait bien, qu’elle mangeait suffisamment, qu’elle dormait correctement, qu’elle ne se noyait pas.

Cela faisait un an qu’elle l’avait libéré.

Aurora replaça soigneusement son stiletto et tourna son regard vers le miroir. Ses lèvres roses s’étirèrent de nouveau en un sourire charmant, ses yeux trop clairs se plissèrent d’une chaleur menteuse. Un an durant, elle avait assumé la place de Natashka, première de leur promotion, l’élève la plus brillante de l’école, celle qui avait l’oreille des professeurs. Elle était la princesse Lestrange, la princesse de glace. Son règne sur Durmstrang avait été bien différent de celui de son amie. Elle avait rappelé à tous que les seuls sur lesquels ils pouvaient compter étaient les élèves de leur année, que les autres promotions n’étaient pas là pour aider ni soutenir ; et surtout pas les plus âgés. Natashka avait été trop naïve, trop généreuse, trop bonne pour cette école de violence. Elle rêvait d’en illuminer les murs sombres, elle rêvait de la collectivité du village russe, de la grandeur du château français. Elle était morte pour son rêve, à cause de son rêve, et Aurora avait brutalement remis les choses en place. Elle avait interrompu toutes activités inter-promotions qui n’étaient pas nécessaires pour leur éducation, avait influencé les professeurs pour superviser les clubs et renforcer la cohésion entre élèves de mêmes classes, avait murmuré son poison pour accentuer la compétition entre les années. Durmstrang écrasait ceux qui ne se rangeaient pas, tuait les rêveurs, et Natashka avait voulu les protéger. Cela l’avait tué, alors Aurora s’en était chargé à sa place. La solidarité de leurs pairs les sauverait là où une seule personne avait échoué.

Le navire tangua de nouveau et une cloche sonna depuis le pont. Son sourire pratiqué toujours aux lèvres, Aurora rejoignit le reste de sa promotion pour observer l’approche du quai. Son règne sur Durmstrang – aussi court et futile avait-il été dans cette école qu’elle ne possédait pas – lui avait laissé un goût agréable en bouche. Elle voulait ce pouvoir. Elle voulait régner. Son regard de diamant se posa sur sa famille, sur ses adelphes qu’elle ne reconnaissait que grâce aux photos envoyées pour Yule, pour qui elle n’avait qu’un attachement lointain. En voilà une idée.


15 AOUT 1935 - 20 -
Aurora offrit un sourire rayonnant à son interlocutrice, ses yeux brillant d’une lueur triomphante, la clef du bâtiment comme un accessoire à sa ceinture. Elle cliquetait contre le fourreau ornementé de sa petite épée au moindre mouvement. Elle porta le champagne français aux lèvres avec un sourire radieux pour Xinran Parkinson qui la félicitait avec son enthousiasme caractéristique. ‘Un jour, je surpasserai votre incroyable collection’ s’amusa-t-elle avec la matriarche. Celle-ci avait une posture impeccable, assise sur le canapé comme si c’était un trône, et un sourire malicieux. ‘Ha ! Vis plus longtemps que moi et tu pourrais bien y arriver !’ s’esclaffa la vieille archéologue. C’était absurde, bien entendu. Aurora savait que la collection d'œuvres d’art et artefacts des Parkinson – comme celle des Smith – n’étaient pas de celles que l’on surpasse.

Cela ne l’empêcherait pas de se hisser à leur niveau. Aussi extraordinaire était l’influence de Xinran et Hepzibah dans le secteur de l’art sorcier, elles étaient loin d’être les seules. Aurora se taillerait une place digne de sa famille, de la princesse qu’elle était. Sa place n’était nulle part si ce n’était au sommet, il n’y avait pas plus grande évidence. Ses yeux brillaient d’avidité et elle les cacha en remerciant Salma et Ruwa Besada qui venaient de les rejoindre pour leurs compliments. Elle avait des projets pour l’UMMC également, qui leur profiterait à tous. Les lettres étaient prêtes, leur seraient remises par leur majordome respectif d’ici une semaine.

Elles discutaient de la restauration de certains artefacts relativement peu sûrs et de l’utilité des briseurs de sort pour le musée, lorsque Carmen vint la voler avec un sourire radieux. Aurora la suivit avec un rire silencieux et un mot d’excuse destiné à ses interlocutrices, bras lié au sien et une nouvelle coupe en main. Un groupe de personnes extrêmement familières discutait autour d’un artefact venu tout droit de Durmstrang. Son sourire se teinta d’une extrême satisfaction. Il lui avait fallu presque une année de correspondance, plusieurs visites et quelques centaines de gallions de donation pour mettre la main dessus. Le premier retourneur de temps cédé à l’école et irrémédiablement teinté par la magie noire qui souillait Durmstrang – raison pour laquelle ce n’était plus qu’un artefact extrêmement précieux entreposé dans le bureau du directeur et non un outil destiné aux élèves ambitieux. Son délicat aspect reflétait le siècle qui l’avait construit mais c’était la souillure de la magie noire qui le rendait si intéressant, le rendait unique. Si elle avait eu le droit de l’examiner, de le disséquer, Aurora savait qu’elle y aurait trouvé la graine de la malédiction qui avait condamné un élève à une demi-vie comparable à celle des voyants qui étaient avalés par leur don. En l’état, le retourneur de temps était solidement scellé dans un coffre de verre pour l’exposition. Une des perles de sa collection.

La jeune sorcière se glissa entre Antarès et Borislav, abandonnant le bras de Carmen qui venait de voler la vedette à son père en l’interrompant sans égard. Elle rit à l’expression vaguement amusée de Corvus, si semblable à celle qu’il avait lorsque l’unique neurone que se partageaient les garçons décidait de faire grève. Elle offrit un sourire radieux, dépourvu de la moindre modestie, à la fiancée de son ami lorsque celle-ci la félicita poliment pour l’événement. Eileen Potter. Une sorcière intéressante. Elle avait des plans pour cette jolie légilimance qui avait la confiance d’Antarès. Elle claqua des doigts pour le seul plaisir de le faire et les parois du coffre chatoyèrent légèrement avant de laisser apparaître les runes de protection gravées tout autour. Les trois langues-de-plomb s’y intéressèrent immédiatement, à son plus grand plaisir. C’était fascinant après tout. Borislav et Carmen se plongèrent dans leur propre conversation et elle s’excusa pour faire le tour du reste de ses invités.

Ce fut l’heure suivante qui vit la sorcière s’asseoir sur un canapé d’un profond bordeau, expirant la fumée addictive de la cigarette entre ses doigts. L’envoyée de la Gazette du Sorcier lui avait coupé la route après une passionnante conversation sur le mérite des expositions publiques et privées avec Hepzibah Smith et elle se devait bien évidemment de lui accorder de son temps. Le sourire qu’Aurora offrit à Metys fut délicieusement complice, son regard brillant d’une lueur sincèrement chaleureuse qui transforma le diamant en saphir. Elle avait insisté pour que ce soit elle qui couvre l’événement, même si la culture et les arts n’étaient pas ses sujets habituels. Ce n’était pas parce qu’elle ne pouvait pas officiellement inviter son amante qu’elle ne pouvait l’amener à elle, surtout pas quand sa famille possédait le journal pour lequel elle travaillait. La brève interview se termina sur une invitation à se revoir et elles se séparèrent avec des sourires complices pour retourner à leurs responsabilités respectives.

Aurora n’était pas Héloïsa Lestrange, réputée pour ses salons, ni Victoria Lestrange la mariée parfaite, mais elle serait damnée si quiconque trouvait quoi que ce soit à redire à son accueil. Son hospitalité n’aurait rien à envier à celle de sa mère ou de son aînée. Elle avait été élevée comme la princesse Lestrange et avait patiemment appris ce que la haute société attendait d’elle après l’éducation militaire, masculine aux yeux de certains, qu’imposait Durmstrang. Elle était guerrière et fille de son père, oui, mais il y avait plus d’une sorte de champ de bataille et Aurora n’admettait aucune défaite.

L’événement était intime, élitiste, un événement sur invitation et les invitations destinées à ceux de haute naissance ou de grand savoir. Cela résultait en une ambiance sereine sans être académique, de conversations bruissant paisiblement, une atmosphère qu’elle cherchait à inspirer chez ses invités. Le pavillon des arts était destiné à être ouvert au public et la princesse Lestrange avait une idée très précise du genre de visiteurs qu’elle voulait accueillir en son antre.

Aurora porta sa coupe de champagne aux lèvres avec un sourire triomphant.


24 DECEMBRE 1940 - 25 -
tw: sang
Svetovid louvoya entre leurs pieds et maître Rokar lui jeta un coup d’oeil suspicieux avant de la regarder avec un regard noir. Aurora étira ses lèvres en un sourire amusé et ne fit rien pour rappeler le fléreur à elle. La lourde odeur de la terre trempée les entourait, mêlée à celle, âcre, du métal dont étaient parsemés les souterrains de la banque. Le gobelin posa sa main sur la porte excessivement protégée et le cliquetis familier des verrous se fit entendre. Elle s’ouvrit lentement, dans un grincement impressionnant, et une étincelle rieuse dansa dans ses yeux clairs. Le flair dramatique des gobelins ne manquait jamais de la faire rire.

Svetovid inspecta la porte avec attention avant de regarder maître Rokar, assis sagement devant l’entrée, immobile jusqu’à ses grandes oreilles. Aurora détourna son regard de son petit compagnon et le posa sur son supérieur avec la même patience. Celui-ci plissa les yeux et claqua des doigts, provoquant une légère étincelle dans l’encadrement. Svetovid franchit la porte de l’atelier d’un bond et la sorcière le suivit avec un rire silencieux.

Le fléreur que lui avait offert sa mère pour ses dix-neuf ans avait appris avec elle le métier de briseur de sort. Une extravagance que les banquiers avaient accordé avec réticence à la princesse Lestrange et qui lui avait souvent servi. Une fois correctement éduqué, l’incroyable clairvoyance de ce petit animal en avait fait un partenaire idéal pour détecter les pièges magiques qu’elle-même était incapable de déceler. Il s’était montré digne de son nom, Svetovid, divinité slave de la divination, la guerre et l’abondance.

Le regard de la sorcière se posa sur la seule table qui n’était pas occupée et haussa légèrement les sourcils. Les subtiles décorations sur la coupe de bois étaient reconnaissables entre mille. Elle l’avait elle-même apporté de Norvège, mandatée par la banque lorsque le propriétaire avait hérité d’une distante tante. Ses yeux brillèrent de convoitise en s’en approchant à grands pas. ‘J’en déduis que le sort de compulsion a eu raison de votre sorcier préféré, Maître ?’ Rokar la foudroya du regard mais ne put qu’acquiescer. ‘Natus Flitwick est chez vos rebouteux sorciers depuis hier.’ Elle émit un son pensif, regard plongé dans le liquide clair qui remplissait la kuksa. ‘Il a bu ?’ ‘Apparemment.’ Rokar grommela à propos d’incompétence et de curiosité maladive. Le regard d’Aurora se fit distant. C’était hypnotique, elle ne pouvait blâmer Flitwick. Si les griffes de Svetovid n’étaient pas plongées dans la paume de sa main, y formant une petite flaque de douleur écarlate, elle tenterait d’y boire également. Les larmes brouillèrent sa vision et elle cligna enfin des paupières, libérant une larme qui alla s’échouer dans la kuksa. Les ondulations brisèrent la compulsion et Aurora caressa les oreilles de Svetovid qui frotta sa tête contre sa main avec un miaulement plaintif. ‘Blagodarya, malŭk bog’ [Merci, petit dieu] murmura-t-elle.

Il libéra sa main, qu’elle guérit d’une pensée avant d’invoquer une petite fiole avec laquelle elle recueillit son sang. Elle était trop prudente pour en perdre la moindre goutte – il y avait de nombreux sorts qui utilisaient le sang d’une sorcière et aucun qu’elle ne voulait subir. ‘Peux-tu t’en charger, oui ou non ? Le client s’impatiente.’ Ce n'était pas le seul, nota-t-elle sans passion. Ce n’était pas une bonne idée. Brillante elle était, puissante plus encore, mais elle avait toujours été faible face à la tentation. Elle entendait la kuksa lui murmurer mille et une promesses, percevait le sort de compulsion enchaîner sa volonté. Ses yeux restèrent froids malgré son sourire aimable, malgré le feu dans ses veines à l’idée de réussir contre toute attente. ‘Bien sûr.’ Elle avait toujours apprécié les défis. Svetovid ronronna sous sa main lorsqu’elle lui gratta le menton. Et elle avait le meilleur des alliés.

Aurora sortit sa baguette de son fourreau, le sang battant à ses oreilles, ignorant Rakor qui s’éloignait pour regagner la surface. Les murmures de la kuksa noyaient toute pensée, le sort tentait de l’entraîner vers sa perte, et elle ne fit que sourire en construisant son premier sort, prête à mener une bataille de volonté et de talent contre cet incongru adversaire. Elle vaincrait. Et après sa victoire, il faudrait qu’elle trouve un cadeau pour Augustus, pour se faire pardonner d’avoir manqué le marché de Noël.