(camilla) truth begins in lies

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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Il était une fois… Ou plutôt, deux. Non, trois. Bref. Où en étais-je ?

Ah oui, ça. Comme je disais, c’est pas vraiment ma faute si tout est parti en cacahuète en moins de temps qu’il n’en faut pour dire cacahuète. Le plan était parfait, un truc réglé au millimètre près : ça allait être le plus beau casse de la décennie, que dis-je, de l’année. Et le meilleur : personne n’allait s’en apercevoir avant le lendemain, et aucun de ces idiots n’allait même songer à me soupçonner.

Après tout, je suis Camilla Thompson, la chroniqueuse potins, mode et beauté - dans cet ordre, s’il-vous-plaît - de Sorcière Hebdo ; je suis l’une des femmes les plus en vue de la capitale, l’une de celles dont la voix compte dans la bonne société magique de Londres. Comment pourrait-on me soupçonner de quoi que ce soit, à part d’une chronique un peu trop acerbe ?

Et pourtant. Me croiriez-vous, si je vous disais que je ne suis pas celle que je prétends être ? Si je vous disais que je ne suis pas née dans un manoir perdu dans les Cotswolds - je ne sais même pas où ça se trouve, mais je parie que vous non plus - mais dans une miteuse demeure moldue de Belfast ? Si je vous disais que je ne m’appelle pas vraiment Camilla Thompson, mais Caitlyn O’K… O’Kennedy ? O’Kelly ? O’Quelque chose, en tout cas. Un patronyme tellement typiquement irlandais que ça vous évoque des farfadets rien que d’y penser… Si je vous disais que je mens comme je respire, et que tout ce que vous voyez n’est que métamorphomagie et vêtements hors de prix ?

Mais non, voyons, je vous fais marcher. Je suis Camilla, fière élève de la somptueuse école de Beauxbâtons (c’est prononcé bo-bah-ton, pas boh-batton, au passage - ah, vous les anglophones, et votre manie de massacrer la prononciation !) : mon père était anglais, ma mère française, c’est elle qui a insisté pour que j’étudie dans le pays de son enfance. Les pauvres sont décédés dans un tragique accident alors que j’entamais ma dernière année d’étude dans la célèbre académie des Pyrénées. En me léguant leur immense fortune, évidemment.

Pas de frères ni de sœurs, non. C’est d’ailleurs l’un de mes grands regrets ; imaginez ce qu’auraient pu devenir des rejetons d’une lignée de sang-purs français comme la mienne ! Probablement de grands inventeurs, des politiciens peut-être ? Quel dommage, vous devrez vous contenter de moi… Comment, dites-vous, c’est déjà plus qu’assez ? Oh, cessez donc de me flatter, je vais rougir.


À table, iníon deamhan.

C’est comme ça qu’il m’appelle. J’insiste, je répète que mon prénom est Catherine, prononcé à la française, que mon père était français, que je ne suis pas la fille du démon mais celle d’un sorcier, que techniquement ma mère est une sorcière elle aussi. Rien n’y fait. Pour cet homme ignare, que je dois appeler leasathair , je ne suis que la fille du démon.

Tout ça parce que j’ai des pouvoirs magiques. Et que je peux modifier mon apparence à volonté. Et que j’ai peut-être un poil usé de ces talents innés pour enquiquiner mes demi-frères. Mais c’est trop injuste : ils sont quatre, et je suis la seule (en plus d’être une fille, de dix ans seulement) à être issue du premier lit. Ils sont bêtes et méchants, il faut bien que je me défende, non ? De toute façon, c’est eux qui ont commencé...

Ils n’avaient qu’à pas me traiter de bâtarde. Ils savaient pourtant que c’était un mot banni, interdit, à ne pas prononcer sous peine de me fâcher. Parce que quand on me fâche, de drôles de choses se produisent. Dans le cas présent, quatre superbes paires de cornes ont subitement poussé façon sanglier, autour de leurs petites bouches médisantes. Comme je disais, c’est pas très malin de m’énerver.


Mais revenons à notre récit.

Comme cible, j’avais choisi le Lotus Noir. Yep, ce Lotus Noir, il n’y en a qu’un seul. La plus grande maison de spectacle de Grande-Bretagne, aux fenêtres ornées de fleurs dorées rappelant son nom. Accessoirement, un repaire de mafieux. Mon idée était de les éviter comme la peste : facile, vu qu’ils ne s’assoient que sur les sièges écarlates qui leur sont réservés.

Sauf que, comme je le mentionnais, tout ne s’est pas passé comme prévu. En même temps, comment j’aurais pu savoir ? Je ne suis pas membre de l’état-major allemand, même si je parle couramment la langue !

Si vous voulez vraiment savoir, j’ai passé quelques années en Autriche, c’est là que j’ai appris à parler allemand. Ah, si vous aviez pu voir Vienne ! Une ville magnifique, des rues ornées de palais comme des gâteaux, tous parfaitement symétriques, une véritable carte postale vivante. Et les Viennois ! Adorables, si serviables, et quels organisateurs de soirées ! Si vous avez l’occasion de passer, un jour, je vous conseille de faire un arrêt au club die bärtige Meerjungfrau  : une déco à vous couper le souffle, et les robes des dames !

Comment ça, le club a fermé ? Ah, la guerre, sûrement…


GESUCHT FÜR DIEBSTAHL UND BETRUG / BELOHNUNG 10.000 GALLEONEN

Yep, c’est ma tête sur l’affiche. Enfin, ma tête d’avant. Celle de Frau Cassandra von Ulmsberg, veuve d’Heinrich von Ulmsberg. Herr von Ulmsberg était propriétaire du salon le plus sélect de tout Vienne, et son décès tragique - ou plutôt son testament, revu et corrigé il y a moins d’un an - fait de sa jeune et superbe veuve la douairière la plus riche d’Autriche, ou presque. Mais les enfants von Ulmsberg font de la résistance, ce qui m’oblige à modifier encore une fois mes traits. De brune, je deviens blonde platine ; je perds environ cinq centimètres, et une bonne partie de ma poitrine.

Dans cette même poitrine, je sens le battement de mon cœur s’accélérer. Cette fois, je l’ai vraiment échappée belle. J’ai été trop ambitieuse, et j’en ai oublié l’une des règles élémentaires de ma profession : ne jamais épouser un père de famille. Les enfants sont des teignes, des obstacles qui vous empêchent de déployer vos ailes. Ils se croient tout permis, et ils vous prennent vos meilleures années, en plus de se servir comme des rois sur ce que vous leur laissez après votre décès.

Je n’ai moi-même jamais été enfant, ou du moins pas très longtemps. Je refuse de me souvenir de la fillette que j’étais ; j’efface jusqu’à son prénom de mes souvenirs, que j’ai récemment appris à manipuler. Catherine ? Non, ça c’est le premier alias que je me suis donné. Cat… Quelque chose. Cette gamine était une pauvre chose pathétique, qui avait peur du noir et de sa propre ombre. Il fallait que je m’en débarrasse, si je voulais devenir quelque chose dans ce monde.

Allumant la première cigarette d’une longue série, j’inhale profondément. Cela ne vaut pas les substances délicieuses dont j’ai fait la connaissance à Paris, mais cela suffira à calmer mes nerfs, faute de mieux. Les rouages de mon cerveau tournent déjà à plein régime : quelle sera la prochaine destination ? Pas la Russie, il y fait bien trop froid. Et je ne crois pas que la situation là-bas me soit très favorable, ils ont plutôt tendance à exécuter leurs aristos, ces derniers temps. Pas l’Allemagne, j’ai assez parlé allemand pour le reste de ma vie. La France est également à exclure, je ne vais pas revenir sur le pourquoi du comment ; l’Italie ? L’Espagne ? Pas le temps d’apprendre la langue.

Il semblerait que je doive revenir plus près de mes racines. Ce ne sera que temporaire, évidemment. Je ne peux pas me permettre de croiser d’anciennes connaissances. Quoique… Vu que je ne ressemble plus en rien à la jeune fille qui a quitté le territoire britannique, après tout, qu’est-ce que je risque ?


Cette nuit-là, le ciel était d’un noir d’encre. Pas la moindre étoile à l’horizon, mais bon, pour les Londoniens ça ne changeait pas grand-chose. Les étoiles, ils avaient cessé de les voir il y avait de cela plusieurs décennies. Et puis, de toute façon, de l’intérieur du cabaret, on ne voyait pas l’extérieur. Toutes ces dorures, ces lumières tamisées qui sautaient de reflets en reflets, des bijoux des dames aux miroirs accrochés un peu partout, votre regard était sans cesse happé par quelque chose.

Et c’est exactement sur ça que je comptais. Happer les regards, pour disparaître dans la lumière. Ce soir-là, je me produirais sur une scène secondaire : Clélia Duvalier était de retour. Pour un soir, et un soir seulement, la charmante rousse au désarmant accent français était de passage à Londres. C’était la seule fenêtre d’opportunité dont j’aurais besoin. Comme je le disais, ce plan est - était - parfait.

J’avais juste oublié la Banshee. Et les Allemands. Et lui.


Aaaah, Paris. La Ville Lumière. Les petits cafés, les boulevards, l'architecture, les palais, les fontaines, les marchés aux puces, les artistes, les ponts sous lesquels ils vivent... Et les riches Moldus. Si faciles à arnaquer, si faciles à manipuler. Une jolie robe, quelques gouttes d’Amortentia, et les voilà envoûtés, prêts à tout pour les beaux yeux de Miss Cora Smith. C’est presque trop facile.

Je passe de bras en bras lors des soirées mondaines, où l’on s’ennuie à mourir jusqu’à ce que survienne un regard. Une invitation. Une poudre blanche que l’on cache dans le poudrier, et me voilà partie pour des heures - des minutes, des jours entiers, des secondes, des éternités - durant lesquelles les couleurs sont plus vives, les odeurs plus fortes, les sensations aussi. Le monde est à nouveau plein de possibilités, et plus rien ne peut m’arrêter.

Un soir, rendue imprudente par ma consommation effrénée de cette délicieuse neige chimique, je m’oublie, et pratique la métamorphomagie devant un parterre de Moldus ébahis. Les autorités magiques françaises se lancent à ma poursuite - ils sont du genre chatouilleux ici depuis que les catacombes ont en partie explosé à cause d’un phénomène magique non identifié, et je dois retourner sur mes pas, redevenant la ravissante et innocente Clélia pour les spectateurs du Cabaret du Farfadet.

Je chante d’une voix grave les tristesses d’un amour non réciproque, d’un amant parti et jamais revenu, des bêtises mielleuses auxquelles je n’ai jamais cru.

Je repasse de bras en bras, cette fois collectionnant les amants comme d’autres collectionnent les papillons. Refusant de m’attacher, pour ne pas qu’on m’attrape. Certains soirs, je me dis que j’aimerais rester. Mais il ne faut pas, je ne peux pas. Sinon, je vais finir comme ma sotte de mère, une stupide femme au foyer, des gamins plein les jupons et des rêves inassouvis plein la tête.

C’est drôle, mais quand j’essaie de revoir son visage, celui de la femme qui m’a donné le jour, je n’y parviens pas. J’aimerais oublier le reste, aussi, mes frères et leurs faces de rats, l’Irlande pluvieuse et boueuse, ce château dans lequel j’ai passé - et perdu - une année de ma vie… Je commence à pratiquer l’occlumancie, mais ce n’est pas tant pour échapper aux regards inquisiteurs des autres que pour me cacher à moi-même. Ce passé, je ne veux plus, je ne peux plus le voir.


Le cri, inhumain, retentit alors que je m’apprête à monter sur scène. Tout le monde se fige, dans les coulisses, les sièges et les travées. Tout s’arrête, un instant seulement. Puis le monde explose. Les cris, la fumée. Le chaos. Le sol tremble, mais je ne perds pas mon objectif de vue. Les pensées traversent mon esprit plus vite encore que lorsque j’ai découvert la cocaïne, il y a maintenant… bref, avant.

Les coffres de l’organisation se trouvent derrière cette porte. Deux étages en sous-sol, trois salons privés à traverser, mais cela ne devrait poser aucun problème, puisque ces salons sont maintenant désertés par une foule apeurée. Je remonte le courant, tel un poisson dont j’ai oublié le nom. C’est encore mieux que la diversion que j’avais prévue.

J’aperçois soudain une porte d’un rouge carmin. Mon objectif est là, devant mes yeux : derrière cette porte se trouve l’une des caches les mieux protégées de la pègre londonienne, un trésor de Gallions et de plantes rares. Ce sont ces dernières qui m’ont attirée ici : Welwitschia mirabilis, Drakaea glyptodon,... Des fleurs si précieuses qu’elles n’ont un nom qu’en latin. Des fleurs si rares que seule l’Acromentule parvient encore à se les procurer.


Bonjour ! My name is Catherine, et toi ?

Je suis Jacqueline ! Ton accent est tout bizarre, d'où viens-tu ? Tu n'étais pas là l'année dernière, je me trompe ?

Pardon, my français n’est pas perfect encore… Je viens d’Angleterre, from the Cotswold, tu connais ? J’ai commencé mes studies à Hogwarts, mais… J’ai perdu mes parents, a tragic car accident, et maintenant je vis ici.

Oh pardon, je ne savais pas ! Tiens, tu veux de l’aide pour ce devoir ? Je suis là, si tu as besoin de quoi que ce soit, considère Beauxbâtons comme ta nouvelle maison !

Thanks, c’est très gentil… Tu aurais un mouchoir ? Rien que de penser à... la maison... you know...

Je hoquète, je fais semblant de verser une larme, avant de reprendre le fil de la conversation. Décidément, Jacqueline est bien gentille. Je sens que nous allons être d'excellentes amies, elle et moi... Je ne regrette pas un seul instant d'avoir insisté sans merci auprès de ma mère pour qu'elle m'envoie ici, plutôt que dans ce château miteux et plein de courants d'air qu'est Poudlard.

De toute façon, Serpentard, ce n'était pas pour moi. Elle était bien d'accord avec ça, ma mère. ils avaient dû se tromper, impossible que sa fille aînée, son adorée, son idolâtrée, soit une manipulatrice au sang froid... Pas vrai ?


J'émerge d'un sommeil agité, le front trempé de sueur. Il est là, assis dans un coin de la pièce. Que je sois éveillée ou endormie, il ne me quitte plus. Son regard noir est fixé sur moi. De prédatrice, je suis devenue proie. Et, pour info, je déteste ça. Ce sentiment d'être à sa merci, de lui appartenir.

Il a marqué sa présence sur ma peau. Comme si ses incursions mentales ne suffisaient pas. Ce psychopathe. Ce ... Mais non, je ne dois pas l'agonir d'injures, même si ce n'est pas l'envie qui me manque, même si ce n'est que dans ma tête. Car ma tête, il y est.

Il s'y est installé ce soir fatidique. Alors que les autres clients du Lotus Noir couraient pour sauver leurs vies, craignant -  littéralement - que le ciel ne leur tombe sur la tête, il a posé sa main sur mon épaule. Sans un mot. Du moins, pas à voix haute. Je n'ai même jamais entendu le son de sa voix.  Mes talents d'occlumancie, rigoureusement exercés depuis plusieurs années, n'ont pas fait le poids très longtemps.

Quelques minutes, et il savait que je lui mentais. Quelques heures, et il savait tout de moi. Quelques jours... Je préfère ne pas y penser, mais je n'ai guère plus de contrôle là-dessus. Je me raccroche à son nom, la seule chose que je sais de lui : Nott, Arseus Nott. What an arse, indeed...

Assise dans le lit aux draps de soie de cet appartement déclaré maudit, je réfléchis. Peut-être est-ce moi qui suis maudite, en réalité. Peut-être qu'on ne peut pas toujours tricher avec la vie. Mais ce n'est pas le doute qui va m'empêcher d'essayer !