Kamrailid Lagprat - What you gon' do when there's blood in the water ?

- MÉFAIT ACCOMPLI -

---

L’odeur de pin mouillé me manque, celle de moisissure également. En pleine nature, les feuilles mortes et les champignons ont une odeur qui leur est propre et puis il y a celle des chevaux... Putain, je donnerai tout pour pouvoir monter à nouveau.

Un cliquetis se fait entendre, la pièce est sombre, mais même s’il ne distingue pas qui s’approche, cela fait bien assez longtemps qu’il a appris à reconnaître le bruit de ces pas. Le patron des lieux, son bourreau, s’approche de lui, mais il prend grand soin de rester de l’autre côté des épais barreaux de fer. À son approche, d’autres êtres vivants s’agitent dans cette cave. Que des animaux, divers et variés, il est le seul hybride de cette collection sordide, mais aux yeux de l’homme qui s’arrête devant sa cage, cela ne fait aucune différence.

"Comment tu te sens ?"

Comme si la réponse avait une quelconque importance. Enfin, si, elle en a. Parce qu’il se fait de l’argent grâce à lui et pour ça, il se doit de le maintenir un minimum en forme. L’homme dans la cage renifla avec dédain, fixant son bourreau depuis tant d'années. C’était frustrant, il était bien plus vieux que lui, plus petit, plus mince, mais il avait été plus malin certainement. Et puis même si ça lui faisait du mal de l’admettre, il était plus puissant en ce qui concernait la magie. Il avait essayé de lutter, il avait tout essayé pour fuir, mais cet homme savait parfaitement quoi faire pour garder ses petits monstres de foire bien en place.

"Quand ?" demanda Kamrailid’.
"Ce soir..."

Et comme promis ce soir-là, on vint le chercher. Profitant de la nuit pour l’emmener ailleurs sans éveiller les soupçons. Avec le temps, Kamrailid’ avait supposé que l’homme devait également graisser quelques pattes. Au point de rendez-vous, une autre cave trop humide, on l’emmena au centre de ce qui était, de toute évidence, un ring de fortune.

Libre, mais pas idiot. Ici, ce n’était pas un sorcier qui se trouvait là, mais plusieurs. Et aussi fort pouvait-il être, aussi intense pouvait être sa soif de liberté, celle de la vie l’était plus encore. Des années de ce petit jeu lui avaient appris ce qu’il en coûtait d’essayer de s’échapper. Il ne tenait plus à renouveler l’expérience. Et puis peut-être qu’une part de lui… Avait fini par y prendre goût.

Des acclamations, des visages connus, certains semblaient être heureux de le revoir. Il se détestait de ressentir cette espèce de fierté alors qu’il fixait celui qui lui ferait face. Parfois humain, parfois animal, les histoires de ses adversaires étaient aussi variées que les adversaires eux-mêmes. Chaque combat était différent, mais tous terminaient de la même façon, la mort.

Et quand lui faisait tout pour survivre dans ce ring aux frontières magique et infranchissables, eux gueulaient et prenaient des paris. Ça puait le cigare, l’argent sale et les hommes en mal de sensation.

Parce que le combat n’était pas intéressant sinon, on l’aspergeait d’eau avant de sonner la cloche, avant de l’enfermer avec son adversaire et de regarder ce qui se passait. Ces événements étaient bien rôder. Les lieux étaient toujours différents, l’organisation était pointilleuse. Il n’en connaissait pas vraiment les détails, son rôle à lui, c’était de survivre. On ne pouvait pas participer et organiser ce genre d’événement clandestin depuis des années sans être un minimum précis et minutieux.

---

---

"Tu t’appelles Kamrailidʹ Lagprat. Fils de Feron et Irikah. Tu as 38 ans, trois enfants, Robikin, Lašūl et Grīto. Ta femme s’appelle Maleia."

Des mots que je me répétais pour ne pas oublier, des noms, des souvenirs, toutes les raisons du monde pour que je continue à me battre et à survivre. À attendre le moment où le destin serait enfin de mon côté pour vous retrouver.

Les souvenirs, c’était tout ce qu’il lui restait. Il se rappelait si bien des cheveux couleur de feu de son épouse, du sourire angélique de sa fille et des bêtises de ses garçons. Et lors des moments de répit, les pires selon lui, il se focalisait sur eux. Un jour, cet homme ferait une erreur, et ce jour-là, il saurait saisir sa chance.

Un repas apparut dans sa cage.

"Merci Norbey."
"De rien."
"Quel jour sommes-nous Norbey ?"
"Samedi 7 septembre 1940."

L’elfe resta là, comme à chaque fois et à chaque fois qu’il lui avait fait remarquer qu’il n’y était pas obligé, Norbey répondait qu’on lui avait confié la tâche de veiller à ce que chaque créature soit en forme. Monsieur Goyle voulait que chacune de ses créatures soit en bonne santé et refusait catégoriquement qu’une d’entre elle meure sous son toit. Le seul endroit accepta pour mourir était dans un combat. Et Norbey veillait à cette tâche depuis longtemps, bien avant l’arrivée de Kamrailid’ et il continuerait à y veiller bien après. Finalement, c’était ce qui se rapprochait le plus d’un ami en ces lieux.

"10 ans…" remarqua l’hybride en mangeant le contenu de l’assiette. Dix ans qu’il était ici. Et il continuait à se répéter le nom de sa femme et de ses enfants.

Il lui arrivait parfois de se faire une raison. Il n'en parlait pas, parce qu’il n’avait personne à qui en parler, se laissant ronger par la culpabilité lorsqu’il prenait conscience de tout ce temps passé. 10 ans... C’est si long. Et c’était probablement pour ça qu’il s’accrochait bien plus à des prénoms qu’à des visages, même s’il se rappelait d’un sourire, ou de la couleur des cheveux, les visages s’effaçaient et il en avait si honte.

Alors c’était facile de se raconter des histoires en se disant qu’il attendait le bon moment.
Que lorsqu’il sortirait enfin d’ici il les retrouverait.

Et la routine continuait, manger, s’entraîner physiquement, et dormir…
Ne pas perdre la tête.

Et il y eut ce tremblement, ces secousses qui le firent violemment chuter et cogner contre les barreaux de sa propre cage. Les hurlements affolés des bêtes, une cacophonie, le chaos et il ne pouvait rien faire d’autres qu’hurler à son tour, demander ce qu’il se passait. Maudissant ces foutus bracelets qui inhibaient sa magie. Rien n'y faisait, il était coincé avec lui-même, sa frustration, et les sifflements qui venaient de l’extérieur et…

D’autres explosions secouèrent la maison, des morceaux du plafond de la vaste cave s’effondrant. Emportant avec lui la vie de plusieurs êtres vivants enfermés. Jusqu’à ce que Norbey apparaisse.

"Norbey doit veiller sur les créatures de Monsieur Goyle." prononça l’elfe, mais sa voix semblait différente, lointaine, effrayée.

"Norbey doit veiller sur les créatures de Monsieur Goyle. Les créatures ne doivent pas mourir sous le toit de Monsieur de Goyle. Monsieur Goyle serait en colère, Norbey ne veut pas décevoir. Norbey doit veiller sur les créatures, les créatures de Monsieur Goyle." et une à une... Il libéra les créatures…

Il se tourna vers Kamrailidʹ.

"Norbey doit veiller sur les créatures de Monsieur Goyle." dit l’hybride.
"Norbey doit veiller sur les créatures de Monsieur Goyle." répéta l’elfe.

Une autre secousse, une conduite d’eau explose, et il ne faut pas longtemps à Kamrailidʹ pour souffrir de cette transformation qui ne demande qu’à se manifester, mais n’y arrive pas à cause de ces putains de bracelets qu’il tend vers Norbey.

"Les créatures ne doivent pas mourir sous le toit de Monsieur Goyle." dit l’hybride
"Les créatures ne doivent pas mourir sous le toit de Monsieur Goyle." répète l’elfe.

Claquement de doigts... Les bracelets disparaissent.
La douleur est d’un coup plus intense tant la vague qui se déferle en lui est puissante. Similaire à un barrage qui cède sous la pression. Il n’entendra même pas le second claquement qui lui ouvre sa cage. Ses gencives sont douloureuses, ses dents acérées déformant sa bouche, ses mains palmées se parant de griffes.

"Suivre Norbey, vous devez me suivre."

Mais la colère le submerge, 10 ans... 10 trop longues années. C’est sans vraiment comprendre qu’il saute à la gorge du petit elfe, enfonçant ces rangées de dents pointues dans sa chair. Il n’était pas question que qui que ce soit puisse le remettre dans une cage maintenant. Ami ou non, l’impulsion avait été plus forte. Ce n’est que lorsque le petit être cessa ses gargouillis qu’il lâcha sa prise et chercha après une sortie. Quand il trouva l’extérieur, ce fut pour découvrir qu’une bonne moitié de la demeure s'était effondrée, en proie aux flammes. Il ne resta pas bien longtemps pour savoir si "Monsieur Goyle" avait survécu. Profitant du chaos de la ville pour fuir.

---

---

La route, la forêt, la chasse, les petits boulots, les vols, voilà de quoi il survivait maintenant que la liberté était à nouveau à lui. Il apprit qu’il se trouvait à Birmingham, il n’y resta pas pour autant. S’en éloigner lui était vital. Il essaya en début de chercher la trace des siens, mais on lui désignait tant de directions différentes. Il suivait une piste, sans grande conviction, peut-être parce qu’une part de lui ne souhaitait pas retrouver les siens. Il avait beau avoir beaucoup d’amour pour eux, 10 ans s’étaient écoulé et malgré ses 10 années de survie, il était effrayé parce qu’il pourrait se retrouver.

Les souvenirs étaient doux, heureux.
Sa femme ne l’aurait jamais attendu 10 ans. Elle aurait été idiote de le faire.
Ses enfants ne devaient même plus se souvenir de lui…

Pourtant, il suivait une piste qui le rapprochait de Londres.
Et s’il s’écoutait vraiment, il aurait compris que c’était probablement la pire piste possible, qu’aurait fait sa communauté du côté de Londres ?
Mais c’était plus facile de croire qu’il le faisait dans l’espoir de retrouver les siens plutôt que celui de s’en éloigner à jamais.

La seconde option, il ne l’admettait pas.
Pourquoi la seconde option devrait-elle exister d’ailleurs ? N’avait-il pas fait tout ce qu’il avait fait pour pouvoir les retrouver ? Cela n’aurait aucun sens que maintenant qu’il pouvait le faire, il se sabote lui-même n’est-ce pas.

Aucun sens.

Mais il était arrivé, il était là, la capitale.
Et il y fit ce qu'il faisait de mieux, proposer ses services, un peu de pickpocket quand il en avait besoin, si loin de se rendre compte à quel point les choses avaient changer. Il ne cherchait pas à se cacher, lui, ce qu'il était, tant et si bien qu'un beau matin, on frappa à la porte de sa chambre d'hotel, on le tira violemment du lit et on lui fit une mise à jour. Il se défendit, d'abord parce qu'il ignorait pourquoi autant de violence, ensuite, parce que ça avait été instinctif tout simplement.

Il aurait pu finir à Azkaban. Probablement que cela aurait été le cas si la guerre n'était pas à leur porte.
Mais ils avaient besoin de main d'oeuvre.

Il fallut du temps pour qu'ils comprennent que l'homme face à lui ne connaissait littéralement pas la LDV et lorsqu'on lui expliqua, le fait qu'il ne s'y oppose pas joua en sa faveur. Pourquoi s'y opposerait-il après tout ? Du boulot, une paye, un excellent moyen de ne pas réfléchir, ne pas penser et si vraiment ça le saoulait, il pourrait juste se tirer, il en était persuadé.

"Nom et prénom."
"Chålra šarku" parce qu'il avait beau ne savoir ni lire, ni écrire, il n'était pas non plus un idiot et il y avait des réflexe qu'il ne se perdait pas...Comme celui de ne pas donner sa véritable identité aux autorités.
"Pardon ?"
"Chålra šarku" répéta-t-il non sans sourire de toute ces dents tel un gamin qui prenait grand plaisir de les voir galéré avec sa langue maternelle, le shelta.

Papier en poche (pour combien de temps ?), nouvellement conscrit, il se disait qu'il resterait, le temps de trouver une autre piste...Le temps de se faire un peu de fric. Oui, il resterait à Londres, juste le temps de...N'est-ce pas ?