Demyan Apraxine

- MÉFAIT ACCOMPLI -

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Cher  Journal,

Depuis combien d’année conversons nous ? Je crois que tu m’as été offert lors de mon huitième anniversaire. Une façon supplémentaire de contrôler mes émotions. J’ignore de qui vient l’idée mais cette personne à l’époque avait probablement vu juste. Depuis, tu bois mes mots, je les écris et ils disparaissent à jamais dans ton papier pour ne réapparaître qu’à ma demande. Tu es mon plus vieil ami, tout aussi fidèle que peut l’être ma baguette.

Tu contiens toutes mes pensées les plus intimes, toutes les lettres que je n’ai jamais osé envoyer. Mes frustrations, mes peines, mes joies et mes ambitions.

Tu es l’une de mes innombrable activités mais contrairement aux autres, tu ne m’évite pas vraiment de penser, au contraire. Tu es celui qui m’oblige à me pencher sur mes états d’âme, à y mettre des mots, à les analyser. Tu es dur, ami silencieux, parce que tu m’oblige à prendre du recul nécessaire mais tu es également loyal parce que tu ne m’as jamais laissé tomber et que je sais, de façon certaine, que tu emporteras chacun de mes secrets dans ta tombe.

Je déteste tellement les secrets.

Mais aujourd’hui, plutôt que de t’écrire, j’ai envie de lire de vieux souvenirs. Je suis d’humeur à la nostalgie et la mélancolie.


16 Février 1917
Les lupercales sont terminés et je n’arrive pas à m’enlever ces images de la tête.

Je ne sais pas pourquoi je l’ai suivi, mais je l’ai fait. J’étais curieux, j’avais envie de le voir, je sais qu’il est plus âgé que moi et je sais qu’il est également mon cousin et que c’est probablement bizarre mais c’est comme si une force invisible m’avait poussé à le suivre. Ce n’est pas rare que nous, les garçons, nous nous amusions à espionner les plus grands d’entre nous. Mais généralement, ce sont les femmes que nous suivons, pas les hommes. Et pourtant, à la première occasion que j’ai pu de m’esquiver pour pouvoir le suivre lui, je l’ai fait.

Après tout, durant ces jours, nous avons la permission de laisser libre court à nos envie les plus primitives non ?

Alors je l’ai suivi courir après une jeune femme, j’ai déjà oublié son nom, je ne me souviens même pas vraiment de son visage. Je me souviens surtout de lui.

Pour être honnête, c’était un peu dégoûtant au début de les voir s’embrasser, de voir ses langues se rencontrer. Puis ils ont commencé à se déshabiller, j’ai regardé ailleurs au début, j’étais pas sûr de vouloir voir ça mais c’était plus fort que moi, j’ai fini par regarder.

Ça reste entre nous ? Bien sûr que ça reste entre nous, tout ce que j’écris ici disparaît n’est-ce pas ? Et puis je te cache bien.

Je le trouve beau. C’est anormal ? Je le trouve beaucoup plus beau que la fille qui était avec lui. Son corps est taillé dans la pierre. C’est anguleux. Son dos forme un triangle et on peut voir les muscles sous sa peau. J’avais envie d’être cette fille quand elle a embrassé son torse. Enfin, j’ai pas vraiment envie d’être une fille hein, mais j’avais envie d’être à sa place. Je me demande ce que ça fait, je me demande quel goût a sa peau.

Et puis il y avait..Son...Enfin...Tu sais de quoi je parle !

Ça m'a réchauffé, dans tout le corps. Voir le sien bouger comme ça, je pouvais entendre les bruits qu’il faisait de là où je me trouvais. Sa voix était plus grave, presque tremblante. Ça m'a donné des fourmis dans le creux du ventre. J’ai envie de me souvenir de ça pour toujours, c’est peut-être pour ça que je l’écris ici.

Le mouvement de ses hanches faisait ressortir l'arrondi de ses fesses et l’expression de son visage me donnait envie d’être la personne qui lui donnait cette expression. Il avait l’air d’apprécier ce qu’il faisait avec cette fille. Je me suis demandé pourquoi ? Pourquoi moi ce qui me fait envie c’est de faire exactement ce que cette fille fait et de l’avoir lui dans ma bouche ? Est-ce que je suis normal ?

J’ai essayé de m’accorder à Lev, de me lier à lui à ma façon...Me contrôler pour l’accompagner. C’était fou. C’était intense. J’ai même cru qu’il m’avait vu à un moment mais je suis pas sûr. Il n'a pas arrêté, il a rien dit, alors je suppose que non.

Je suis pas vraiment arrivé à être en symbiose avec lui…

Mais c’était mes meilleures lupercales.


Octobre 1917
Lev est mort…
Lev est mort…
Lev est mort…

J’ai beau l’écrire, j’arrive pas à y croire.

Comment c’est possible ?
Est-ce qu’il est vraiment parti ? Et qu’est-ce que ça signifie de mourir ? Qu’est-ce qui se passe vraiment après ? On parle d’esprit, de repos, mais si t’es pas encore sur terre, où es-tu ?

C’est quoi être en paix ?
Est-ce qu’on ressent encore des choses ? Est-ce qu’on voit encore des choses ? Est-ce qu’on rêve ? Est-ce qu’on peut être triste ou heureux ? Est-ce qu’on peut encore rire ? Est-ce qu’on peut encore entendre ?

Et si c’était le néant ?
Et si il n’y avait rien…
Rien que le vide.
Le néant…

Le néant.

J’ai l’impression de le sentir.

Le néant.
Le néant.

Le rien.

Comme un trou noir.
Sans limite.
Sans fond.
Sans bord.


Janvier 1918

Aleksandr m’a embrassé…
J’aurai peut-être du l’arrêter, j’aurai peut-être du le traiter de folle, de pd, c’est ce qu’il est non ? Et j’ai pas envie d’être comme ça ! C’est pas normal ! C’est pas normal !

Mais je ne l'ai pas arrêté.

J’ai répondu.
J’ai senti à nouveau ses papillons dans le ventre. Je l’aime vraiment bien.

Alors je me demande si c’est vraiment grave ce qu’on fait ? On fait de mal à personne non ?

Peut-être qu’on est tous les deux malades. Peut-être qu’on devrait en parler. Mais j’ai pas envie de me faire soigner, je ne me sens pas malade.

Je ne comprends pas.

Mais j’ai envie de recommencer.

Personne ne doit le savoir. Vraiment personne.

J’ai envie de lui écrire une lettre.

Je crois que je lui dirai que je ne me suis jamais senti aussi vivant qu’à ce moment-là. Que je suis content qu’il l’ait fait et que je ne suis pas fâché contre lui. Je suis plutôt fâché contre le reste du monde parce que je ne comprends pas pourquoi ce que nous faisons serait si différent que lorsque c’est une fille et un garçon.

J’aime bien le goût de ses lèvres, ça me rappelle celui du thé noir.
J’espère qu’il acceptera de me revoir, à notre endroit.


Aout 1918
Aleksandr ne répond plus à mes lettres. Je m’inquiète.


Septembre 1918
Il est mort.


Septembre 1918

Je crois que j’ai fais une connerie.
Ca ne se voit pas mais je sais que c’est pas bien. C’est pas comme ça qu’on m’a apprit à gérer les émotions, Père serait déçu s’il me voyait.

Mais il dit toujours:
“tomber est permis ; se relever est ordonné.”

Alors je crois que je suis tomber. Vraiment très profondément.
Je me suis réveillé cette nuit avec l’impression que j’allais mourir, que tout autour de moi allait juste disparaître, comme ça, un claquement de doigt. Que ça n’allait plus exister et que je n’aurai même plus conscience que ça a existé.

Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça mais je me suis brûlé… Avec la pointe de ma baguette. Un simple sortilège.

La douleur. Ça m'a rappelé que j’étais vivant.

Maintenant il faut que je le relève.


Décembre 1921

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. Je suis désolé.

Pourquoi diable je m’excuse auprès d’un journal ?

Soit, cela fait donc longtemps que je n’ai pas écrit ici. Après la mort d’Aleksandr, je me suis juste noyé dans mes études. C’était plus facile de ne pas y penser, de faire en sorte de ne pas y penser. Ce n’était pas comme Lev, je pouvais en parler à personne. Je devais gérer ça seul et il y avait des hauts et des bas.

Mais je suis fier de pouvoir te dire que personne n’a remarqué mon trouble. Je me suis montré plus actif encore dans mes études et mes activités en dehors.

Tant et si bien que je suis à présent diplômé de Koldovstoretz et major de ma promotion.

Ceci étant, si je t’écris, ce n’est pas pour te promettre que je pourrai à nouveau écrire régulièrement.
Je m’en vais faire mon service militaire. Et je ne t’emmènerai pas avec moi. Je ne prendrai pas le risque que tu finisses détruit ou pire encore, entre de mauvaises mains. Je sais que le service peut être parfois dur et jonché d'épreuves.

Je te dis donc au revoir mon avis.
Mais promis, nous nous retrouverons bientôt.


Novembre 1923
Deux années et me voilà enfin rentré.

Deux années à apprendre. C’était instructif et je n’avais pas le temps de réfléchir, pas le temps de penser et je crois que ça m’a fait du bien.

J’ai besoin de ça dans ma vie, de l’action, j’ai besoin de m’occuper le corps ou l’esprit, voir les deux en même temps. Ces deux années m’ont permis de savoir ce que je souhaitais faire de ma vie. Je veux me tourner vers le secteur médical.

Je veux faire la différence, à ma façon et il faut croire que les étoiles s’alignent bien. Mes parents ont décidé de quitter notre mère patrie pour rejoindre les autres en Angleterre. J’ai hâte et je pense qu’en matière d’étude de guérisseur, l’Angleterre à un meilleur enseignement.

J’en ai discuté avec mes parents, ils soutiennent mon projet. Je crois qu’après la révolution qu’ils ont connu de plein fouet (là où moi ça semblait être que des gros titres dans les journaux pendant que j’étais à Durmstrang), les a pas mal marqué. Connaissant ma mère, elle est certainement rassurée de me voir devenir guérisseur plutôt que soldat.

Quant à mon père, ça lui donne juste une raison de plus de louer l’intelligence de son fils.
Et puis il sait que si la situation l’exige, j’irai au front sans me poser de question…

Et c’est probablement vrai.



Je crois que je vais arrêter ma lecture de la rétrospective ici.

C’est amusant de voir à quel point j’ai évolué aujourd’hui, à quel point j’ai grandi.
Si je devais me montrer parfaitement honnête avec toi mon ami, je ne suis pas certain que j'irais au front aussi facilement si je devais être rappeler. Je sais que je n’aurai pas le choix mais je ne le ferai certainement sans me retourner pour observer ce que je vais probablement laisser derrière moi et peut-être même perdre.

C’est aussi pour les protéger que j’irai.

Et cette vie amoureuse aussi désastreuse que dramatique. Il m’arrive encore de penser à Lev et de rire de ce premier béguin d’adolescent pour la figure la plus virile que je connaissais à l’époque. Tasya est aujourd’hui parfaitement au courant de qui je suis réellement. Je ne le lui ai pas vraiment annoncé en grande pompe, ça s’est fait comme on parle de la pluie et du beau temps. Comme on se raconte une blague.

Parce qu’au fond, elle l’a toujours su...Tout comme je l’ai toujours su également.

Et peut-être que c’est le cas pour le reste de ma famille, peut être qu’ils le savent également mais je ne souhaite toujours pas les rendre complice de ce qui est juger comme un crime.

Depuis j’ai connu de nombreux amants, je suis loin de cette émotion adolescente de l’époque. J’aimerais pourtant connaître à nouveau ça, ce frisson. Serais-je un indécrottable romantique qui se cache derrière un homme détaché ? J’en ai bien peur.
Mais je suis lucide également, je sais que je ne pourrai pas avoir une belle histoire d’amour qui se termine par "ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfant et vécurent heureux". Je peux même pas avoir une belle histoire d’amour qui se termine par "ils se marièrent". C’est bien dommage.

Mais chaque révolution en son temps et pour l’heure, nous avons plus important à faire je suppose.

J’espère voir le jour où nos mondes seront réunis, parce que les non-maj’ ont beaucoup à offrir avec leur savoir. Ils connaissent la mécanique du corps humain avec une précision étonnante pour des êtres dépourvus de magie. Chez eux on parle de Physique, de Biologie et de Chimie...De Psychologie ou de psychiatrie.

Leur vie semble encore plus complexe que la nôtre et ils usent de tellement de savoir-faire pour s’offrir plus de confort chaque jour.

Imagine si nous étions capables d’unir nos savoir pour n’en former qu’un ? L’avancé que ce serait pour nos deux mondes.

Oui. J’espère avoir l’honneur de voir ce monde arrivé.
J’espère que notre famille y tiendra une place plus importante encore. Je sais qu’elle est capable de s’adapter et d’en tirer avantage.

Et peut-être qu’un jour, je pourrai me permettre d'espérer me marier par amour mais cela semble si futile à côté de ce qui nous attend, non ?